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C’était chose si rare de voir le curé quitter son domicile, que ce voyage de plus de vingt milles fut regardé, tant au château qu’au presbytère, comme une aventure extraordinaire. Mistress Dale ne put dormir de toute la nuit qui précéda le départ de son mari, et, quoiqu’elle eût le matin, tout naturellement, une migraine des plus affreuses, elle ne permit à personne de remplir le sac de nuit que le curé avait emprunté avec la jument. Elle s’imaginait qu’il devait être si impossible au bon curé de faire sans son secours la moindre des choses qui eût le sens commun, qu’elle le força à rester près d’elle tout le temps qu’elle fit le paquet, lui montrant la place exacte où elle mettait la chemise blanche, et lui faisant voir comment ses vieilles pantoufles étaient soigneusement enveloppées dans un de ses sermons. Elle le supplia de ne pas confondre les sandwiches avec son savon à barbe, et lui fit remarquer comment elle avait pris la peine, pour éviter toute confusion, d’éloigner ces deux objets l’un de l’autre autant que le permet un sac de nuit. Le pauvre curé, qui n’était nullement distrait, et qui était aussi incapable de se faire la barbe avec des sandwiches que de goûter à un morceau de savon, écouta néanmoins ces recommandations avec une patience maritale, en pensant que jamais homme avant lui n’avait eu pareille femme ; et ce ne fut pas sans verser quelques larmes qu’il s’arracha aux tendres embrassements de sa Caroline éplorée.

J’avoue cependant qu’il eut quelque appréhension quand il mit le pied à l’étrier et qu’il se confia à la merci d’un animal qui ne lui était pas familier. Quelles que fussent les qualités de M. Dale comme homme et comme curé, l’équitation n’était pas son fort. Vraiment, je ne sais s’il avait pris deux fois les rênes en main depuis son mariage.

Mat, le vieux groom maussade du squire, tenait la jument ; et quand le curé lui demanda avec douceur s’il était bien sûr que la bête fût inoffensive, il répondit laconiquement :

« Oui, oui, soyez tranquille ; laissez-la aller. »

Le curé lâcha aussitôt les rênes, et mistress Dale, qui s’était tenue à l’écart pour cacher ses larmes, accourut vers la porte afin d’ajouter quelques paroles d’adieu. Le curé fit un signe de la main, lui sourit avec une courageuse gaieté, et s’élança sur la route.

Notre cavalier fut d’abord tout entier absorbé par l’étude qu’il faisait des habitudes de la jument, pour arriver à une connaissance intime de son caractère. Il se demanda pourquoi elle levait une oreille et baissait l’autre ; pourquoi elle allait tant vers la gauche, qu’elle risquait de s’embarrasser les pieds dans la haie ; pourquoi, quand elle arrivait dans les champs à une petite porte qui conduisait à la ferme, elle prenait une allure plus vive et allait se frotter le nez contre la grille. Le cure n’ayant pu, malgré ses remontrances les plus civiles, la détourner de ce genre d’occupation, se décida enfin à lui appliquer un timide coup de fouet.

Une fois ce moment difficile passé, la jument sembla comprendre qu’elle avait du chemin à faire, et, agitant violemment la queue, se