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Léonard fut douloureusement affecté. Il semble qu’un poète doive toujours vivre, doive toujours être un ami. Léonard éprouvait un chagrin aussi cuisant que si une personne bien chère lui eût été tout d’un coup enlevée. Il voulait consoler sa mère ; mais l’émotion le gagna et il pleura avec elle.

« Et combien y a-t-il de temps qu’elle est morte ? demanda-t-il enfin d’un ton de profonde tristesse.

— Il y a bien, bien des années ! mais, ajouta mistress Fairfield, se levant et posant sa main tremblante sur l’épaule de Léonard, il ne faut plus me parler d’elle ; cela me fait mal ; cela me brise le cœur. Je souffre moins en parlant de Mark ; viens, viens en bas ! Viens !

— Ne puis-je prendre ces vers, ma mère ! permettez-le moi, je vous en prie.

— Ces feuilles de papier sont tout ce qu’elle a laissé. Oui, prends-les ! mais serre les papiers de ton père ! sont-ils tous là ? bien sûr ! »

Et la veuve, quoiqu’elle ne pût lire les vers de son mari, regarda d’un œil jaloux les manuscrits tout couverts de longs jambages irréguliers, puis les roulant soigneusement, elle les replaça dans la malle, après avoir remis dessus quelques branches de lavande, que Léonard avait enlevées sans le vouloir.

« Mais, dit Léonard, dont l’œil s’était de nouveau arrêté sur la belle écriture de sa tante, mais vous l’appelez Nora et je vois qu’elle signe L.

— Elle se nommait Léonora ; je t’ai dit qu’elle était la filleule de milady. Nous l’appelions Nora par amitié.

— Léonora ! Et moi je m’appelle Léonard. Est-ce de là que vient mon nom ?

— Oui… oui ! tais-toi, enfant, » sanglota la pauvre mistress Fairfield, et rien ne put la calmer ni l’amener à reprendre un sujet auquel s’associait évidemment un profond chagrin.


CHAPITRE VIII.

Il serait difficile de dire tout l’effet que produisit cette découverte sur l’esprit de Léonard. Ainsi donc il avait dans son humble famille une parente qui l’avait devancé dans son laborieux essor vers les hautes régions de la pensée et du désir. On eût dit un marin, qui au milieu des mers inconnues trouve grossièrement inscrits dans une île déserte, quelques noms familiers de sa patrie. Cette créature de génie qui avait souffert, dont l’existence ne lui avait été révélée que par ses poésies et dont la mort réveillait dans le cœur naïf de sa