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influence de ses paroles conciliatrices, et il rougit presque d’avoir parlé si durement à une enfant.

Cependant, n’osant point dire ce qu’il pensait, il s’en alla s’asseoir au loin. « Je ne vois pas, se dit-il, pourquoi il y aurait des riches et des pauvres, des maîtres et des serviteurs, » Lenny, qu’on s’en souvienne, n’avait pas entendu le sermon politique du curé.

Une heure après, Lenny un peu apaisé, retourna à son ouvrage. Jackeymo n’etait plus au jardin ; il était parti aux champs ; mais Riccabocca était auprès de la planche de céleri, tenant sur la tête de Violante son grand parapluie rouge. L’enfant était assise par terre, et levait vers son père ses yeux pleins d’intelligence et d’affection.

« Lenny, dit Riccabocca, ma fille m’a dit qu’elle avait été méchante et que Giacomo avait été injuste à ton égard. Pardonne-leur à tous deux. »

La tristesse de Lenny s’évanouit à l’instant, et les brochures nos 1 et 2 ne laissèrent pas plus de traces dans son esprit que n’en laissent dans l’air :

Ces fantômes légers
Qu’un souffle a dissipés.

Il tourna vers le philosophe un regard empreint de cette bonté qui lui était naturelle, et le reporta avec reconnaissance vers l’enfant. Puis il détourna la tête et versa de douces larmes. Le curé avait raison : « Vous pauvres, ayez de la charité pour les riches ; vous riches, respectez les pauvres ! »


CHAPITRE V.

À partir de ce jour, l’humble Lenny et la superbe Violante devinrent grands amis. Avec quel orgueil il lui apprenait à distinguer le céleri des mauvaises herbes ! Et comme elle était fière, elle aussi, quand il lui disait qu’elle lui rendait service ! On ne peut faire de plus grand plaisir à une enfant, surtout à une petite fille, que de lui faire sentir qu’elle est déjà utile dans le monde, et que si elle a besoin de protection, on peut aussi avoir besoin d’elle. Des semaines et des mois s’écoulèrent, et Lenny continuait à lire non-seulement les livres que lui prêtait le docteur, mais encore ceux qu’il achetait à M. Sprott. Quant aux bombes, aux obus contre la religion, que le chaudronnier portait dans son sac, Lenny n’était nullement disposé à en incendier son cœur. Dès le berceau on lui avait appris à aimer, à respecter le divin Père et le Sauveur ; le Sauveur, qui, par sa vie toute de bonté, par sa mort plus belle que celle des plus grands