Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/153

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

choisir son affaire. Le jeune paysan ne demandait pas mieux. Il vida le couteau du sac sur le gazon et il eut devant lui une provision variée de nourriture intellectuelle, de nourriture et de poison, serpentes avibus, du bon et du mauvais. Ici, le Paradis perdu de Milton ; là, l’Âge de la raison ; à côté, des Traités méthodistes ; les Vrais principes du socialisme ; là, le livre des Connaissances utiles, ouvrage d’une société de gens instruits poussés par une pensée philanthropique ; puis l’Appel aux ouvriers par des écrivains de bas étage poussés par la même ambition qui conduisit Érostrate à brûler le temple de Diane ; des œuvres immortelles d’imagination comme Robinson Crusoé, ou innocentes comme le Vieux baron anglais ; enfin des traductions de ces mauvais romans qui avaient perverti la jeunesse française sous Louis XV. Bref, il y avait là un abrégé du Monde des livres, de cette immense cité de la presse, avec ses palais et ses bouges, ses aqueducs et ses égouts, qui se présentent tous de la même manière à l’œil novice, à l’esprit curieux de celui auquel on dit : Choisissez.

Mais le premier mouvement d’un cœur pur et plein de vie n’est pas de s’asseoir dans les bouges et de se perdre au milieu des égouts ; et Lenny Fairfield se détournant instinctivement des mauvais livres en choisit deux ou trois des meilleurs, les apporta au chaudronnier et lui en demanda le prix.

« Mais, dit M. Sprott, en mettant ses lunettes, tu as justement pris les plus chers. Ceux-ci sont bien moins chers et bien plus intéressants.

— Mais ils ne me plaisent pas, dit Lenny ; je ne sais pas de quoi ils parlent, tandis qu’en voilà un qui dit comment sont faites les machines à vapeur, et il a de plus de belles gravures ; cet autre c’est Robinson Crusoé, que le curé m’a promis de me donner ; mais j’aime mieux l’acheter de mon argent.

— Eh bien ! prends à ton goût, dit le chaudronnier, je te laisserai les livres pour quatre ronds et tu me payeras le mois prochain.

— Quatre ronds ! — quatre shillings ? C’est une grosse somme, dit Lenny ; mais je les économiserai, puisque vous avez la bonté de vous fier à moi. Bonsoir, M. Sprott.

— Attends un peu, dit le chaudronnier ; je vas te donner ces deux petites brochures par-dessus le marché ; elles ne valent qu’un shilling la douzaine, ainsi ça ne fera que deux pence de plus, et quand tu auras lu ça, vas, tu seras un fier connaisseur.

Le chaudronnier donna à Lenny les nos 1 et 2 de l’Appel aux ouvriers que le jeune paysan reçut avec reconnaissance.

Lenny continua son chemin à travers les vertes prairies et sous le feuillage d’automne des haies vives. Il regarda d’abord un livre, puis un autre ; il ne savait auquel s’arrêter.

Le chaudronnier se leva et fit un feu de feuilles, de genêts, de branches vertes et sèches.

Lenny avait ouvert le no 1 des brochures ; ce sont les livres les