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LIVRE IV.


CHAPITRE I.

Le mariage est, à coup sûr, un grand changement dans la vie ; on s’étonne de ne pas trouver un ami ou une amie, sensiblement modifiés, n’eussent-ils été mariés que depuis une semaine. Chez le docteur et mistress Riccabocca, le changement fut manifeste. À commencer par la dame, comme il est du devoir d’un galant chevalier : mistress Riccabocca avait entièrement renoncé à la mélancolie qui avait caractérisé miss Jemima ; elle était même devenue gaie et enjouée, et sa beauté y avait beaucoup gagné. Elle n’hésitait pas à avouer à mistress Dale, qu’à ses yeux maintenant le monde était encore très-éloigné de sa fin. Mais néanmoins elle ne négligea pas le devoir inculqué par la doctrine qu’elle abandonnait. Elle mit sa maison en ordre ; la froide et mesquine élégance qui avait caractérisé le casino, disparut comme par enchantement, ou plutôt l’élégance persista ; mais ce qu’elle avait de froid et de mesquin s’évanouit au sourire d’une femme, comme le chat botté disparut après les noces de son maître. Jackeymo ne prenait plus de vérons ni d’épinoches que pour son plaisir. Il engraissa et Riccabocca aussi. En un mot, la belle Jemima devint une excellente épouse. Riccabocca in petto la trouvait dépensière, mais en homme sage, il se gardait de jeter les yeux sur les factures des fournisseurs, et mangeait en silence et sans lui faire de reproches son morceau de rosbif.

Il y avait une bonté si vraie chez mistress Riccabocca ; sous la réserve de ses manières, le cœur des Hazeldean battait si bien dans sa poitrine, qu’elle justifia pleinement les anticipations favorables de mistress Dale. Et bien que le docteur ne se vantât pas tout haut de sa nouvelle félicité et qu’il n’imitât pas ces nouveaux mariés qui jettent insolemment leur bonheur aux nimis unctis naribus, c’est-à-dire aux nez refrognés des vieux mariés, qu’il n’étalât pas non plus sa satisfaction avec orgueil aux yeux des célibataires jaloux ; cependant il était facile de voir qu’il était plus gai et de meilleure humeur qu’autrefois. Il y avait moins d’ironie dans son sourire ; sa politesse était moins froide. Il n’étudiait plus Machiavel avec autant d’ardeur et ne reprit pas ses lunettes, symptôme du plus favorable augure. Dans l’amélioration de son extérieur et de sa toilette on apercevait