Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/148

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le squire reconnut la voix du chaudronnier ; il devina alors quel était le chef de l’émeute ; mais dans ce jour d’amnistie générale, il eut la prudence et la magnanimité de ne pas ajouter : « Sors d’ici, Sprott, c’est toi qui es le coupable. » Et cependant sa loyauté ne lui permit pas épargner celui-ci aux dépens de son serviteur.

« Si c’était Nick Stirn, ajouta-t-il avec gravité, ce n’en est que plus honteux pour vous. Il y avait quelque courage à pendre le maître ; mais pendre le pauvre serviteur qui ne songeait qu’à remplir son devoir, sans penser aux dangers qui le menaçaient, c’est un fort vilain tour ; c’est une lâcheté si peu digne des jeunes gens d’Hazeldean, que je soupçonne l’homme qui leur a appris à se conduire ainsi, de n’être pas né dans la paroisse. Mais ce qui est fait est fait. Une seule chose est claire pour moi, c’est que vous interprétez à mal la réparation de mes ceps. Les ceps ont été la pierre d’achoppement entre nous, votre principal grief contre moi ; on ne peut nier qu’avant cela nous n’ayons vécu très-amicalement ensemble. Eh bien donc, amis et voisins, continua le squire en levant son verre, j’ai la satisfaction de vous annoncer que j’ai donné ordre de détruire les ceps, et d’en faire un banc pour la cheminée de notre vieil ami Gaffer Salomon, que je vois là-bas. Mais faites y bien attention, mes enfants, si jamais la paroisse en arrivait à regretter la perte des ceps, et si les gardiens venaient me trouver avec des figures allongées pour me dire : Il faut rétablir les ceps… » (En ce moment, il s’éleva du sein de la jeunesse du village de si bruyantes protestations, que le squire aurait été le plus maladroit des orateurs s’il eût dit un mot de plus.) Élevant donc son verre à la hauteur de sa tête, il s’écria : « Je reconnais mon vieil Hazeldean. Santé et longue vie à tous ! »

Ô jeune héritier de l’illustre maison de Habsbourg, comme vous auriez pu faire un autre Hazeldean de votre Hongrie, et provoquer devant votre nouveau règne un chaleureux : Moriamur pro rege nostro, si seulement vous aviez su faire un discours comme celui du squire !