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n’ai fait que rire. J’aurais cependant bien dû me douter qu’il y avait quelque anguille sous roche, lorsque l’italien s’est mis à se déguiser en ôtant ses lunettes. Ah ! ah ! je suis curieux de savoir ce qu’Henriette va dire : allons lui conter l’aventure.

Le curé, charmé de voir la facilité avec laquelle le squire prenait la chose, accrocha son bras au sien ; et tous deux se dirigèrent amicalement vers le château. La première personne qu’ils rencontrèrent en entrant dans le jardin, ce fut mistress Hazeldean, occupée à couper les branches mortes ou les fleurs fanées de ses rosiers. Le squire se glissa tout doucement derrière elle, et la fit tressaillir en lui passant son bras autour de la taille et en déposant un baiser sur ses joues fraîches et douces : c’était une liberté conjugale que, pour le dire en passant, il croyait pouvoir se permettre, toutes les fois qu’il était question d’un nouveau mariage.

« Fi donc ? William ! dit Mme Hazeldean qui rougit en apercevant le curé. Eh bien ! qui donc va se marier ?

— Seigneur Dieu ! a-t-on jamais vu une femme pareille ! elle l’a pourtant deviné, s’écria le squire, transporté d’admiration. Racontez-lui tout, curé. »

Le curé obéit.

Mistress Hazeldean, comme le lecteur peut le supposer, montra beaucoup moins de surprise que ne l’avait fait son mari ; mais elle reçut la nouvelle gracieusement, et fit à peu près la même réponse que le squire, seulement avec plus de réserve et de restrictions.

Le signor Riccabocca s’est conduit en galant homme ; sans doute une fille de la famille des Hazeldean d’Hazeldean aurait pu, comme position, trouver un bien meilleur parti ; mais comme la demoiselle avait tardé si longtemps à se décider, il serait à la fois inutile et malséant de lui chercher querelle sur son choix, si elle acceptait le signor Riccabocca. Quant à la manière de disposer de sa fortune, cela doit regarder les deux parties contractantes. Cependant il serait bon de faire remarquer à Jemima que cette fortune ne produira qu’un intérêt très-minime. L’état de veuvage du docteur Riccabocca était aussi une chose qui demandait de la réflexion, et l’on était en droit de concevoir quelques soupçons à l’égard d’un homme qui jusque-là avait été si réservé sur sa vie antérieure. Certainement les apparences étaient en sa faveur, et tant qu’il n’avait été qu’une simple connaissance, et un locataire, on n’avait pas eu le droit de s’enquérir de sa vie privée ; mais aujourd’hui qu’il se disposait à se marier avec une Hazeldean d’Hazeldean, il était tout au moins du devoir du squire d’en savoir un peu plus long sur son compte. Qu’était-il ? que faisait-il ? Pourquoi avait-il quitté son pays ? Quand un Anglais veut économiser, il va vivre à l’étranger ; aucun étranger ne choisit l’Angleterre pour y faire des économies. Mistress Hazeldean supposait qu’un docteur étranger n’était pas grand’chose : probablement il avait été professeur dans quelque université italienne. Quoi qu’il en soit, si le squire intervenait, c’était sur tous ces points qu’il devait prendre des informations.

« Ma chère madame, dit le curé, ce que vous dites est extrêmement