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La pauvre mistress Dale fut consternée de ce discours et plus encore du mécontentement et de l’inquiétude de son mari. Il faut rendre à mistress Dale cette justice, que toutes les fois que le curé était chagrin ou blessé, ses petites humeurs disparaissaient, et elle devenait douce comme un mouton. Revenue de son premier désappointement elle se hâta de dissiper les appréhensions du curé. Elle était convaincue, lui dit-elle, que si le squire désapprouvait les prétentions de Riccabocca, l’Italien se retirerait sur-le-champ, et en ce cas miss Hazeldean ignorerait à jamais ces propositions. Il n’y aurait donc aucun mal de fait. Cette assertion de mistress Dale étant conforme à la confiance que M. Dale avait dans la délicatesse de Riccabocca, en matière d’honneur, contribua à apaiser le digne homme ; et si, comme s’y attendent sans doute mes lectrices, il ne s’effraya pas a l’idée que le cœur de miss Jemima fût engagé irrévocablement, et en songeant que le bonheur de celle-ci pouvait être compromis par le refus du squire, ce n’est pas que le curé manquât de sentiment, mais il avait peu d’expérience des femmes et il croyait bien à tort que miss Jemima Hazeldean n’était pas de celles sur qui un désappointement de ce genre dût produire une impression durable. Aussi M. Dale après quelques moments de réflexion répondit avec bonté :

« Eh bien ! ne vous tourmentez pas, je suis tout aussi blâmable que vous ; mais vraiment j’aurais cru qu’il était plus facile au squire de transplanter un des vieux cèdres de son parc dans son potager, qu’à vous d’attirer le docteur Riccabocca dans vos pièges matrimoniaux. Après tout, de quoi n’est pas capable un homme qui se met volontairement dans les ceps pour en faire l’expérience ? Néanmoins je crois qu’il est préférable que ce soit moi, qui parle au squire, plutôt que vous, et j’y vais sur-le-champ.


CHAPITRE XVII.

Le curé prit son tricorne et se dirigea vers la ferme, où il espérait trouver le squire. Mais à peine arrivé sur la grande place du village, il aperçut M. Hazeldean, les deux mains appuyées sur sa canne, regardant fixement les ceps.

Je regrette de dire que depuis l’hégire de Lenny et de sa mère, l’esprit révolutionnaire et ennemi des ceps, que le mémorable sermon de notre curé avait pendant quelque temps détourné ou suspendu, faisait de nouveau explosion.

Quelques jours après le départ de la veuve, les ceps furent de nouveau l’objet d’une attaque nocturne : on les barbouilla, on les salit, on y fit des entailles et on y écrivit des lamentations au sujet de Lenny, et des malédictions énergiques contre les tyrans. Nuit après