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chère… au delà de toute expression. Cette enfant a jusqu’à ce jour vécu en pays étranger. Certaines circonstances me font désirer qu’elle habite maintenant avec moi. Et j’avoue sincèrement que rien ne m’a autant attaché à miss Hazeldean, que rien ne m’a fait autant désirer notre mariage que l’espérance de trouver en elle une mère bonne et affectueuse pour mon enfant.

Mistress Dale, avec feu et sentiment. Vous la jugez bien !

Le docteur Riccabocca. Maintenant, quant aux affaires d’argent, vous pouvez penser d’après ma manière de vivre que je n’ai rien à offrir à miss Hazeldean qui soit en rapport avec sa fortune.

Mistress Dale. Cette difficulté se trouve levée en laissant miss Hazeldean maîtresse de sa fortune, ce qui se fait en pareil cas.

ta figure du docteur Riccabocca s’allongea. « Et mon enfant ? » dit-il avec émotion. Il y avait dans ces mots quelque chose de si étranger à tout motif sordide et égoïste que mistress Dale n’eut pas le cœur de lui répondre ce qui était juste : Cette enfant n’est pas l’enfant de Jemima, et vous pouvez avoir d’autres enfants.

Elle fut touchée et répondit en hésitant :

« Mais sur vos revenus et sur ceux de Jemima vous pouvez annuellement économiser quelque chose et assurer votre vie au profit de votre fille. Nous avions fait cela pour l’enfant que nous avons perdu (et les yeux de mistress Dale se remplirent de larmes), et je crains que Charles n’ait fait de même pour moi, quoique Dieu me soit témoin que… que… »

Les larmes débordèrent.

Ce petit cœur vif et pétulant n’était pas formé de ces fibres fortes et solides que le ciel accorde aux épouses prédestinées au veuvage. Le docteur Riccabocca ne put continuer plus longtemps ce sujet des assurances sur la vie. Mais cette idée qui jamais ne s’était présentée à son esprit, et qui nous est si familière à nous autres Anglais, quand nous n’avons qu’un petit revenu, cette idée, dis-je, lui plut beaucoup. Je lui rendrai la justice de reconnaître qu’il préféra cette pensée à celle d’approprier à lui ou à son enfant une portion de la dot de miss Hazeldean.

Peu de temps après, il se retira, et mistress Dale se hâta d’aller trouver son mari pour l’informer du succès de ses plans matrimoniaux et le consulter sur les intentions probables du squire.

« Quoique le squire pût être content de voir Jemima se marier avec un Anglais, dit-elle en hésitant, s’il me demande ce qu’est ce docteur Riccabocca, que lui répondrai-je ?

— Vous auriez dû penser à cela auparavant, dit M. Dale avec une brusquerie inaccoutumée. Et vraiment si j’avais cru qu’il pût résulter quelque chose de sérieux d’une idée qui me paraissait si absurde, je vous aurais priée depuis longtemps de ne pas vous mêler de telles affaires. Bonté divine ! continua le curé en changeant de couleur ; si nous avions aidé à introduire pour ainsi dire clandestinement dans la famille de l’homme à qui nous devons tout, une personne qui lui déplût, quelle ingratitude | »