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une très-bonne personne ! Les jeunes filles la disent fort affable, et, ajouta Lenny avec un sourire, il y a toujours plus de mariages en train quand elle est au château.

— Oh ! fit Riccabocca. Puis il reprit, après avoir lancé une longue bouffée de fumée : L’as-tu jamais vue jouer avec les petits enfants ? Aime-t-elle les enfants ?

— Dieu ! comme vous devinez juste, monsieur ! Elle n’est jamais si contente que lorsqu’elle joue avec les petits enfants.

— Hum ! murmura Riccabocca, c’est d’une bonne nature. Tiens, Lenny, va me chercher mon chapeau dans le cabinet, et apporte-moi la brosse à habits. Voici une bien belle journée pour se promener !

Après s’être rendu coupable sans la moindre honte de cette espèce d’inquisition sur le caractère et la réputation de miss Hazeldean, le signor Riccabocca parut aussi content de lui-même que s’il eût commis la plus noble action ; et lorsqu’il se dirigea du côté du château, ce fut d’un pas plus leste et plus allègre que lorsqu’il se promenait sur la terrasse.

« Monsignore San Giacomo, grâce à ton appui et à l’influence de la pipe, le padrone aura son enfant ! » murmura le domestique en regardant du haut du jardin son maître qui s’éloignait.


CHAPITRE XV.

Cependant le docteur Riccabocca ne précipita rien. L’homme qui veut un habit de noce bien ajusté doit donner le temps nécessaire pour prendre la mesure. Mais, à partir de ce jour, l’Italien changea complètement de manières à l’égard de miss Hazeldean. Il laissa de côté cette profusion de compliments au moyen desquels il avait su échapper à toute conversation sérieuse. Car le docteur Riccabocca considérait les compliments d’un célibataire comme le liquide noirâtre que la seiche répand autour d’elle pour se dérober à son ennemi en troublant l’eau. Il n’évitait plus comme auparavant les conversations prolongées avec la jeune dame, et ne cherchait plus à esquiver une promenade solitaire à ses côtés. Il saisissait au contraire toutes les occasions de se rapprocher d’elle, et, quittant le langage de la galanterie, il prenait souvent le ton sérieux de l’amitié. Il mettait tous ses soins à examiner, à approfondir son caractère. Pour me servir d’une comparaison bien simple, il souffla sur cette mousse qui se trouve à la surface de tous les rapports entre connaissances, surtout de sexes différents, mousse qui, tant qu’elle reste, empêche presque de distinguer la petite bière de l’excellent porter. Riccabocca fut sans doute satisfait de ses observations, ou du moins sous la mousse