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ses fenêtres en ogive, ses pignons, et ses cheminées aux formes bizarres. De ce côté de la route, juste en face des deux personnages, apparaissaient au détour du chemin les blancs cottages, tandis qu’au loin le terrain en pente laissait la vue se perdre sur un horizon immense de bois, de prés, de clochers et de fermes. Par derrière, à travers un rideau de lilas et d’arbres verts, on apercevait le presbytère, se détachant sur un fond de verdure. Les oiseaux étaient encore dans les haies, seulement de temps à autre, et comme sortant du plus profond des bois lointains, se faisait entendre le doux chant du coucou.

« Vraiment, dit M. Dale avec douceur, le Seigneur m’a donné un bel héritage. »

L’Italien ramena brusquement son manteau sur lui et poussa un léger soupir. Peut-être pensait-il à son ciel brûlant et sentait-il qu’au milieu de cette fraîche verdure du Nord l’étranger n’avait pas d’héritage.

Cependant, avant que le curé eût pu remarquer le soupir ou en deviner la cause, les lèvres minces du docteur Riccabocca prirent une expression presque méchante.

Per Bacco ! dit-il, je remarque que dans tous les pays les corbeaux font leurs nids sur les arbres les plus beaux. Je suis sûr que Noé, lorsqu’il s’arrêta sur l’Ararat, trouva quelque noir gentleman déjà installé à l’endroit le plus agréable de la montagne et attendant son dixième du bétail à la sortie de l’arche.

Le curé arrêta ses yeux pleins de douceur sur le philosophe, et son regard avait quelque chose de si suppliant, que le docteur Riccabocca se détourna et se remit à bourrer sa pipe. Le docteur Riccabocca abhorrait les prêtres ; mais, quoique le curé Dale fût un prêtre dans toute l’acception du mot, il semblait en ce moment si différent de l’idée que le docteur Riccabocca se faisait d’un prêtre, que le cœur de l’Italien s’indigna lui-même de sa plaisanterie irrévérencieuse sur l’habit ecclésiastique. Un incident vint heureusement faire diversion à ce malencontreux début de conversation : ce n’était rien moins que l’arrivée de l’âne lui-même… j’entends de l’âne qui avait mangé la pomme.


CHAPITRE V.

Le chaudronnier était un gaillard au teint basané, bon vivant et de plus musicien, car il chantait tout en faisant tournoyer son bâton, et à chaque refrain le bâton retombait sur le dos du baudet. Le chaudronnier marchait derrière et chantait, l’âne cheminait devant et était rossé.

« Votre pays est singulier, dit le docteur Riccabocca ; dans le mien,