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instinctivement l’arme que les Italiens de condition inférieure portent ordinairement à leur ceinture.

— Le prêtre, reprit Riccabocca d’un ton calme, a bien fait d’emmener mon enfant d’une maison dont ce traître est devenu le maître.

— Et où est la signorina ?

— Chez le pauvre prêtre. Tiens ! regarde… Giacomo ! vois sa signature à la fin de cette lettre ; ce sont les premières lignes qu’elle m’ait jamais écrites. »

Jackeymo ôta son chapeau, et regarda avec respect les gros caractères formés par la main de l’enfant. Mais quelle qu’en fût la grosseur, l’écriture était peu lisible, car le papier était taché de larmes, et aux endroits qui n’avaient pas été mouillés se voyaient de grosses gouttes toutes récentes, tombées des yeux du père. Riccabocca reprit :

« Ce prêtre me conseille de la mettre au couvent.

— Au diable soit le prêtre ! » s’écria Giacomo. Puis, se signant rapidement, il ajouta :

« Ce n’est pas cela que je veux dire, monsignore san Giacomo… pardonnez-moi ! Mais Votre Excellence n’a sans doute pas l’intention de faire une nonne de son unique enfant !

— Et pourquoi pas ! dit Riccabocca avec tristesse. Qu’ai-je au monde à lui donner ? La terre étrangère est-elle un meilleur abri qu’une demeure paisible dans le pays natal ?

— C’est sur la terre étrangère que bat le cœur de son père !

— Mais si tout d’un coup ce cœur cessait de battre, que deviendrait-elle ? La vie est triste quand une seule mort peut la priver de tout. Dans un couvent, au moins (et l’influence du prêtre pourra lui obtenir un asile au milieu de personnes de son rang), dans un couvent, elle sera à l’abri des dangers et du besoin… jusqu’au tombeau.

— Du besoin ! Mais songez donc comme nous allons être riches quand nous prendrons possession de ces champs, à la Saint-Michel.

Pazzie ! dit Riccabocca avec insouciance. Le soleil d’ici est-il plus beau que le nôtre ? Le sol y est-il plus fertile ? Et, dans notre Italie, le proverbe dit pourtant : « Celui qui sème récolté plus de soucis que de blé. » Ce serait tout autre chose, continua le père après un moment de réflexion et d’un ton de voix plus résolu, ce serait tout autre chose si j’avais une indépendance quelconque, si petite qu’elle fût… si, dans ma tribu de riches parents, il se trouvait une seule femme qui consentît à accompagner Violante au foyer de son père exilé. Si Ismaël avait son Agar ! Mais comment deux hommes comme nous pourraient-ils subvenir aux mille soins que réclame une frêle enfant ? Elle a été élevée si délicatement ! Une jeune fille a besoin de la main protectrice et des regards affectueux d’une femme.

— Et dire que d’un mot, répondit Jackeymo d’un ton résolu, le padrone pourrait s’assurer les ressources nécessaires pour sauver son enfant de cette mort du couvent ! et qu’avant l’automne, elle pourrait être là assise sur ses genoux ! Padrone, ne croyez pas que vous puissiez me cacher la vérité. Je sais que vous aimez votre enfant plus que