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les germes d’excellentes qualités, se trouvait en lui le principe de défauts qui en sont presque inséparables et gâtent souvent les produits du sol le plus fertile. À une généreuse fierté il joignait une susceptibilité ombrageuse et beaucoup d’entêtement ; vivement sensible aux bons procédés, il n’oubliait que malaisément une injure.

Cette riche et puissante nature d’un paysan sans culture intéressait Riccabocca. Quoique depuis longtemps séparé du commerce des humains, il considérait l’homme comme l’œuvre la plus variée et la plus intéressante qui pût s’offrir aux curieuses investigations du philosophe. Il habitua bientôt l’enfant à un genre de conversation assez subtile et de nature à élargir le cercle de ses idées ; insensiblement, le langage et les pensées de Lenny perdirent de leur rusticité et gagnèrent en élévation. Alors Riccabocca tira de sa bibliothèque, toute petite qu’elle fût, des livres, élémentaires sans doute, mais d’une plus haute portée que ceux que Lenny avait à sa disposition chez mistress Fairfield. Riccabocca avait une connaissance plus complète de la grammaire et du génie de la langue anglaise que bien des Anglais fort instruits. Il l’avait étudiée avec cette minutieuse attention qu’un savant apporte à l’étude d’une langue morte, et parmi ses livres, il s’en trouvait beaucoup qui lui avaient servi dans ce but. Ce furent les premiers qu’il prêta à Lenny. En même temps Jackeymo communiqua à l’enfant une foule de recettes pratiques pour le jardinage et la culture. Car à cette époque, sauf dans quelques comtés favorisés, les fermes en Angleterre étaient loin d’être cultivées avec le soin qui a caractérisé de temps immémorial les fermiers du nord de l’Italie. Dans ce pays en effet on peut voyager longtemps et se croire continuellement dans des jardins. Tout considéré, il semblait donc que Léonard Fairfield eût changé pour le mieux. Il est vrai qu’en regardant d’un peu plus près, la chose paraîtra douteuse. La même raison qui avait engagé le jeune homme à fuir son village natal, l’empêcha de retourner à l’église d’Hazeldean. Ses anciennes et intimes relations avec le curé furent nécessairement interrompues. De temps à autre cependant, M. Dale venait lui faire une visite amicale, mais ces visites devenaient de plus en plus rares et de moins en moins familières, car le digne pasteur voyait que son ancien élève n’avait plus besoin de ses services ; il le trouvait sourd à ses charitables avis quand il l’engageait à oublier et à pardonner le passé et à venir reprendre son ancienne place dans l’église de la paroisse. Lenny allait bien à l’église, mais au loin, dans une autre paroisse ; les sermons d’un étranger n’avaient plus sur lui la salutaire efficacité des sermons du curé Dale ; et le ministre de cette paroisse n’avait pas comme M. Dale, la patience d’expliquer à cette brebis étrangère, dans une conversation particulière, les passages qui avaient pu lui paraître obscurs, ni d’appuyer de nouveaux arguments les réflexions de nature à lui être utiles.