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CHAPITRE IV.

Je le dis en toute conscience, sur mon honneur de gentleman, sur ma réputation d’auteur, il me serait impossible de rendre les sentiments qu’éprouva Lenny Fairfield, quand il se vit seul dans ce lieu de pénitence. Il avait oublié la douleur physique des coups ; la torture de son âme étouffait, anéantissait toute souffrance corporelle ; c’était une de ces tortures poignantes comme en éprouvent les enfants. Ce qu’il ressentait le plus profondément, c’était l’impression d’une injustice criante : il avait rempli, en se trompant peut-être, mais du moins avec honnêteté et avec zèle, les fonctions qui lui avaient été confiées. Il était resté fièrement à son poste pour s’acquitter de son devoir ; il avait combattu, souffert, son sang même avait coulé, et telle était sa récompense ! Lenny possédait cet instinct caractéristique de la race anglo-saxonne, un vif sentiment de la justice ; c’était peut-être le principe le plus fort de ses vertus morales. Ce principe n’avait jamais perdu chez lui ni sa virginité, ni sa fraîcheur dans les actes d’oppression et d’injustice auxquels les enfants d’une naissance plus élevée sont soumis par des parents sévères ou par des maîtres rigides. C’était donc pour la première fois que le fer pénétrait dans son cœur et, à sa suite, le sentiment de sa rage et de sa haine impuissantes : on l’avait maltraité, et il ne pouvait se faire justice lui-même. Puis venait un autre sentiment qui, pour n’être pas aussi profond, était peut-être plus poignant, plus amer : le sentiment de la honte. Lui, le plus sage de tous les enfants de son âge ; lui, le modèle de l’école, l’orgueil du curé ; lui, que le squire, devant tous ses camarades, avait souvent honoré d’une petite tape sur la joue ; lui, que la châtelaine avait daigné caresser en le félicitant de sa belle et précoce réputation ; lui, qui avait déjà appris à estimer la douceur d’un nom honoré, devenir en un clin d’œil un objet d’opprobre et de mépris ! Le nom de Lenny exciter les rires ! devenir un sobriquet ! Sa vie était empoisonnée dans sa source ! Puis il pensait avec attendrissement à sa mère : « Quel coup pour elle, se disait-il ; pour elle, qui commençait déjà à me regarder comme son soutien, son appui. » Il baissa la tête et des larmes longtemps contenues s’échappèrent enfin de ses yeux.

Puis, entendant un bruit de pas qui s’approchaient, il fit mille efforts des pieds et des mains pour s’arracher à ces ignobles entraves ; il se figura voir arriver tous les villageois au sortir de l’église ; il vit l’œil triste du curé, le sourcil froncé du squire, les ris moqueurs et à demi étouffés de tous ses camarades jaloux de sa réputation sans tache, réputation qui ne pourrait jamais, jamais re-