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CHAPITRE II.

Qui apparut au moment même, sinon M. Stirn ?

Dans son désir de faire perdre à Lenny les bonnes grâces du squire, il avait espéré que le jeune villageois aurait déserté le poste qui lui avait été confié, et ce noble bras droit revenait à pas de loup voir si ses espérances charitables s’étaient réalisées. Il aperçut Lenny, qui se relevait avec difficulté, tout haletant, laissant échapper une espèce de cri nerveux : son bel habit neuf était souillé du sang qui coulait à flots de son nez ; encore était-ce un nez ? le pauvre Lenny Fairfield croyait avoir à la place une excroissance bouffie, énorme, grosse comme une montagne ! De sorte que tout, sous sa main, devenait nez ! M. Stirn, hors de lui, détourna les yeux et vit avec le même sentiment d’horreur qu’avait manifesté Lenny, le jeune étranger qui s’était assis de nouveau sur les ceps, soit pour reprendre haleine, soit pour montrer que sa victoire était complète.

« Holà, dit M. Stirn, qu’est-ce donc… ? Qu’est-ce que cela signifie, Lenny, petit imbécile ?

— Il voulait s’asseoir là, répondit Lenny, d’une voix entrecoupée de sanglots, et il m’a battu parce que je ne voulais pas le laisser faire ; mais ça m’est égal, ajouta le villageois, en s’efforçant de retenir ses larmes, je suis encore tout prêt à recommencer… oui, tout prêt.

— Et vous, que faites-vous là à vous dandiner sur nos ceps ?

— Je regarde la campagne. Retirez-vous un peu, vous me gênez, mon brave homme. »

Ce ton fit pressentir à M. Stirn qu’il y avait là quelque méprise ; l’étranger lui parlait d’un ton si peu respectueux qu’il se sentit par contre saisi pour lui d’un respect involontaire. Qui eût osé parler ainsi à M. Stirn, sinon un gentleman ?

« Puis-je vous demander qui vous êtes ? dit M. Stirn, d’une voix douce et en s’inclinant pour porter la main à son chapeau. Comment vous appelez-vous, s’il vous plaît ? Que demandez-vous ?

— Mon nom est Randal Leslie, et je venais faire une visite à votre maître, si vous êtes, comme je le soupçonne, l’intendant de M. Hazeldean ! »

En disant ces mots, Randal se leva, et faisant quelques pas, il se retourna, jeta une demi-couronne sur le chemin, et dit à Lenny :

« Prends ça pour les coups que tu as reçus, et rappelle-toi une autre fois comment on doit parler à un gentleman. Quant à vous, mon garçon, et il dirigeait, d’un air plein de mépris, sa main vers M. Stirn qui, bouche béante, tête nue, s’inclinait jusqu’à terre… Quant à vous,