Page:Bulwer-Lytton - Mon roman, 1887, tome 1.djvu/104

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Randal Leslie n’avait pas à un très-haut point cette qualité naturelle que nous nommons courage physique, mais il avait quelques-unes des qualités morales qui en tiennent lieu : il était fier, vindicatif et avait l’instinct de la destruction plutôt que celui du combat. Il avait soif d’écraser ce qui avait une fois provoqué sa colère. Aussi quoique tout son corps tremblât, que des larmes brûlantes s’échappassent de ses yeux, il s’approcha de Lenny avec le sang-froid du gladiateur et dit entre ses dents convulsivement serrées, comprimant un sanglot de rage et de douleur :

« Vous m’avez frappé, vous ne bougerez pas d’ici, que je ne vous aie fait repentir de votre conduite… défendez-vous. »

Lenny obéit machinalement et l’avertissement n’était pas inutile ; car si, tout d’abord il avait en l’avantage, il n’en fut pas de même maintenant que Randal était revenu de sa surprise.

Quoique Leslie n’eût pas été à Eton très-batailleur, cependant son caractère l’avait parfois entraîné dans quelques conflits, quand il était dans les petites classes, et il avait appris quelques notions de la théorie et de la pratique du pugilat, excellente chose ! nous sommes assez féroce pour le croire.

Randal, en ce moment, employait toute son expérience et tout son art à rester sur la défensive : il écartait les coups violents qui pleuvaient sur lui, ripostant à sa manière avec promptitude et agilité, compensant la faiblesse naturelle de son bras par les ressources de la tactique. Le bras ne resta pas longtemps faible, car c’est une force singulière, que celle qui vient de la colère et de la rage.

Le pauvre Lenny, qui ne s’était jamais battu auparavant, était abasourdi : il perdit tellement l’usage de ses sens qu’il ne put jamais se souvenir complètement de ce qui s’était passé. Il se rappelait vaguement comme une espèce de cauchemar, où il lui semblait s’être élancé, hors d’haleine et impuissant, s’être senti subitement aveuglé, puis avoir été tout à coup ébloui par mille clartés insupportables, enfin il était tombé dans un évanouissement dont il n’était sorti qu’avec de cruelles angoisses. Où s’était passée cette scène ? Ici… là…. partout : enfin, tout ce dont il put se souvenir, c’est qu’il était resté gisant sur la terre, comme un paquet et tout haletant, tandis que son adversaire penchait sur lui un visage aussi sombre que celui de Lara sur le corps d’Othon terrassé.

Car Randal Leslie n’était porté ni par instinct, ni par nature à souscrire à la noble maxime anglaise : « Ne frappe jamais l’ennemi une fois qu’il est à terre, » et il lui en coûta beaucoup, pour ne pas frapper de son talon de botte cette masse inerte qu’il avait sous les pieds. Ce fut l’esprit et non le cœur, qui fit taire en lui le barbare, lorsque, cessant de frapper et murmurant en lui-même quelque chose qui n’était certes pas le charitable et chrétien oubli des injures, le vainqueur se disposa d’un air sombre à quitter le théâtre de la lutte.