Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la raison. Maltravers avait maintenant la calme conscience d’un génie supérieur. Il ne pouvait confier à Ferrers ce qui s’était passé entre lui et Valérie. Lumley était trop austère pour en faire le confident d’une affaire de cœur. En somme, dans les moments de joyeuse ardeur, au milieu d’aventures frivoles, Ferrers était charmant. Mais c’était un de ces hommes qui, dans la tristesse ou dans les émotions profondes, ne sont que des fâcheux.

« Vous êtes maussade ce soir, mon cher, dit Lumley en bâillant ; je présume que vous avez besoin de vous coucher ; il y a des gens qui sont si mal élevés, si égoïstes, qu’ils ne pensent jamais à leurs amis. Personne ne me demande ce que j’ai gagné à l’écarté. Ne soyez pas en retard demain matin ; je déteste de déjeuner seul, et moi je descends toujours à neuf heures moins un quart au plus tard. Je déteste les gens égoïstes et mal élevés. Bonsoir. »

Ce disant, Ferrers se retira dans sa chambre ; et tandis qu’il s’y déshabillait lentement, il s’adressa le monologue suivant :

« Je crois que j’ai tiré tout le parti possible de cet homme, et qu’il ne peut plus me servir à rien. Nous ne nous accordons plus très-bien ; peut-être suis-je moi-même un peu fatigué de ce genre de vie. Cela ne vaut rien. Je deviendrai ambitieux un jour ou l’autre ; mais je crois que c’est un mauvais calcul de ne pas jouir, en attendant, de sa jeunesse. Il est bien temps, à trente-quatre ou trente-cinq ans, de commencer à s’inquiéter de ce qu’on veut être à cinquante. »


CHAPITRE IV.

Cette tentation qui nous pousse au mal par l’amour de la vertu, est la plus dangereuse de toutes.
(Shakspeare. Mesure pour mesure.)

La voir demain ! et nous y sommes à demain ! pensait Maltravers, en se levant le lendemain matin, après une nuit d’insomnie. Avant qu’il eût obéi aux sommations impatientes de Ferrers, qui lui avait déjà envoyé dire trois fois « qu’il ne faisait jamais attendre personne, lui, » son domestique entra avec un paquet de lettres venant d’Angleterre, arrivées à