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Maltravers continua :

« Accablez-moi de reproches, méprisez-moi, haïssez-moi si vous voulez. Valérie, je vous aime ! »

Valérie dégagea sa main, et continua à garder le silence.

« Parlez-moi, dit Ernest en se penchant vers elle ; un mot, je vous en conjure !… parlez-moi ! » Il s’arrêta ; pas de réponse ; il écouta en retenant son haleine ; il entendit un sanglot. Oui, cette femme du monde, si fière, si spirituelle, si imposante, était aussi faible en ce moment que la plus naïve enfant qui eût jamais écouté les aveux d’un amant. Mais combien étaient différents les sentiments qui faisaient sa faiblesse ! Quelles émotions douces et austères se confondaient en son cœur !

« Monsieur Maltravers, dit-elle en recouvrant sa voix, un peu pénible encore quoique plus ferme et plus claire que jamais ; le sort en est jeté, et j’ai perdu sans retour l’ami pour qui je ne puis vivre, mais pour qui j’eusse été heureuse de mourir ; j’aurais dû prévoir tout ceci, mais j’étais aveugle. Pas un mot de plus…, pas un mot de plus ; venez me voir demain, et laissez-moi maintenant !

— Mais, Valérie…

— Ernest Maltravers, dit-elle en posant légèrement sa main sur celle d’Ernest, il n’y a pas d’angoisse comparable à celle que nous fait éprouver une faute dont nous sommes honteux. »

Avant qu’il pût répondre à cette citation de son aphorisme, Valérie s’était éloignée ; et elle était déjà assise à la table de jeu, à côté de la princesse italienne.

Maltravers se rapprocha du groupe. Il fixa les yeux sur madame de Ventadour ; mais sa figure était calme ; on n’y lisait pas la trace d’une émotion. Sa voix, son sourire, ses manières nobles et charmantes, tout était comme au premier jour où il l’avait rencontrée.

« Ces femmes sont-elles assez hypocrites ! » murmura tout bas Maltravers. Ses lèvres se contractèrent dans un sourire dédaigneux qui avait souvent, dans les derniers temps, chassé l’expression sereine et bienveillante de ses jeunes années, de ces années où il ne savait encore ce que c’était que le mépris. Mais Maltravers ne comprenait pas la femme qu’il osait mépriser.

Il quitta bientôt le palazzo, et se rendit à son hôtel. Pendant qu’il méditait encore dans sa chambre, Ferrers vint le retrouver. Le temps où Ferrers avait exercé de l’influence sur Maltravers, était passé ; l’adolescent était devenu l’égal de l’homme, dans le maniement de cette lame à deux tranchants :