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fut une terrible leçon pour moi. Je rentrai chez moi épouvanté de penser que j’eusse pu éprouver tant de plaisir de la douleur d’un autre. Je n’ai jamais joué depuis lors.

— Si jeune avoir tant de résolution ! dit Valérie avec de l’admiration dans la voix et dans les yeux ; vous êtes un homme étrange. D’autres se seraient guéris en perdant ; vous vous êtes guéri en gagnant. Il est beau d’avoir des principes à votre âge, monsieur Maltravers.

— Je crains d’avoir agi plus par orgueil que par principe, dit Maltravers. Il y a quelquefois de la douceur dans une faute. Mais il n’y a pas d’angoisse comparable à celle que nous fait éprouver une faute dont nous sommes honteux. Je ne peux me résigner à rougir de moi-même.

— Ah ! murmura Valérie, c’est l’écho de mon cœur ! »

Elle se leva et s’approcha de la fenêtre. Maltravers hésita un moment, puis il la suivit. Peut-être pensait-il vaguement qu’il y avait une invitation dans ce mouvement.

La vue silencieuse s’alignait devant eux, mal éclairée par quelques rares lumières ; au delà on apercevait imparfaitement l’Océan, à la lueur de quelques étoiles qui s’efforçaient de percer les nuages épais dont l’atmosphère était obscurcie. Valérie s’appuyait contre la muraille, et les draperies de la fenêtre la cachaient à tous, excepté à Maltravers. Entre elle et lui se trouvait un grand vase de marbre rempli de fleurs ; éclairé par la lumière vacillante, le teint éblouissant de Valérie paraissait pâle, doux et rêveur. Maltravers ne s’était jamais senti aussi amoureux de la belle Française.

« Ah ! madame ! dit-il à demi-voix ; il y a une faute, si c’en est une, qui ne pourra jamais me coûter de honte.

— Vraiment ! » dit Valérie avec un tressaillement qui n’était pas affecté, car elle ne savait pas qu’il fût si près d’elle. En parlant, elle se mit, comme font toutes les femmes, à arracher quelques fleurs du vase qui se trouvait entre elle et Ernest. Cette petite main délicate et presque transparente, Maltravers la contemplait, puis il regardait la physionomie, puis encore la main. Il eut comme un éblouissement, et un instant après, involontairement, et comme par une impulsion irrésistible, cette main était dans la sienne.

« Pardonnez-moi, pardonnez-moi, dit-il en balbutiant ; mais c’est la faute du sentiment que j’éprouve pour vous. »

Valérie leva sur lui ses grands yeux rayonnants et ne répondit pas.