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les Anglais sont les héros. Je n’entends jamais parler de scandale parmi les Français, ni les Italiens ; toujours les Anglais !

— Parce que ces choses-là nous choquent, et que nous en faisons beaucoup de bruit lorsqu’elles arrivent, tandis que vous les prenez tout tranquillement. Chez nous le vice n’est qu’un épisode ; chez vous c’est le poëme épique.

— Je présume que vous avez raison, dit le Français avec son sérieux affecté. Si nous trichons au jeu, ou si nous courtisons une belle dame, nous le faisons avec décorum, et nos voisins n’ont rien à y voir. Mais vous, si vous rencontrez une faiblesse chez un de vos compatriotes, vous la traitez comme une affaire publique, qui doit être discutée, examinée, flétrie, et racontée au monde entier.

— Dites ce que vous voudrez, s’écria vivement Mme de Ventadour, j’aime ce système d’esclandre publique. Le régime de la crainte nous est souvent utile pour garder notre vertu. Peut-être le péché ne nous serait-il pas si odieux, si nous tremblions moins en songeant aux conséquences même des apparences.

— Hein, hein ! grogna M. de Ventadour en entrant dans le salon. Comment vous portez-vous ? Comment vous portez-vous ? Charmé de vous voir. Il fait triste ce soir ; j’ai mes soupçons qu’il pleuvra. Hein, hein. Ah ! ah ! monsieur Ferrers, comment ça va-t-il ? Voulez-vous me donner ma revanche à l’écarté ? J’ai mes soupçons que je suis en veine ce soir. Hein, hein !

— L’écarté ! bon, avec plaisir, dit Ferrers. » Ferrers jouait bien.

En un instant les conversations s’arrêtèrent. Toute la petite société se pressa autour de la table de jeu, à l’exception de Valérie et de Maltravers. Les chaises vacantes laissaient une espèce de brèche entre eux ; pourtant ils étaient près l’un de l’autre, et ils éprouvaient de l’embarras, car ils se sentaient seuls.

« Ne jouez-vous jamais ? demanda Mme de Ventadour, après un moment de silence.

— J’ai joué, dit Maltravers, et j’en connais la tentation. Je n’ose plus jouer maintenant. J’aime l’entraînement du jeu, mais ce qu’il a d’avilissant m’a humilié. C’est une ivresse morale, pire que l’ivresse physique.

— Vous parlez avec chaleur.

— Parce que je sens vivement. J’ai, une fois, gagné l’argent d’un homme que je respectais et qui était pauvre. Son angoisse