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il les avait vues moins souvent trompées que trompeuses. Puis encore, les dernières années s’étaient écoulées pour lui sans but élevé, sans occupations fixes. Maltravers avait vécu du capital de ses facultés et de ses affections, dans un esprit de spéculation ou de prodigalité. Il est funeste pour un homme ardent et supérieur de n’avoir pas, dès le début, quelque grande ambition dans la vie.

En y réfléchissant, on ne doit donc guère s’étonner que Maltravers fût tombé dans un système involontaire d’entraînement, à la poursuite du plaisir, sans s’inquiéter beaucoup du mal ou du bien qui pouvait en résulter, pour les autres ou pour lui-même. Dès l’instant qu’on jette sa vie au hasard, on perd de vue le devoir ; et, bien que ceci paraisse paradoxal, on est rarement indifférent sans être en même temps égoïste.

En recherchant la société de madame de Ventadour, Maltravers ne faisait qu’obéir à l’impulsion machinale qui porte l’oisif vers la société qui charme le mieux ses loisirs. Son esprit y avait enrôlé son orgueil et sa vanité au service de sa fantaisie. Mais, quoique M. de Ventadour, homme frivole et débauché, semblât complétement indifférent à la conduite de sa femme, et quoique dans la société où vivait Valérie chaque dame eût son cavalier, pourtant Maltravers aurait frémi d’épouvante et d’incrédulité si on l’avait accusé de vouloir systématiquement s’emparer de ses affections. Seulement il vivait dans le monde, et en ressentait les influences comme les autres. Pourtant quelquefois, au fond de son cœur, il sentait qu’il ne remplissait pas sa véritable destinée, ses véritables devoirs ; et lorsqu’il sortait des brillantes réunions où il ne pouvait trouver qu’un plaisir indigne de remplir son cœur, il était de temps à autre poursuivi par ses anciennes et familières aspirations vers le beau, le grand, l’honnête. Mais l’Enfer est pavé de bonnes intentions ; et, en attendant, Maltravers s’abandonnait à la délicieuse présence de Valérie de Ventadour.

Un soir, Maltravers, Ferrers, l’ambassadeur français, une jolie Italienne, et la princesse de *** composaient toute la société réunie chez madame de Ventadour. La conversation tomba sur une de ces histoires scandaleuses, où figuraient des Anglais, comme cela est si commun sur le continent.

« Est-il vrai, monsieur, demanda gravement l’ambassadeur français à Lumley, que vos compatriotes soient bien plus immoraux que les autres peuples ? C’est fort étrange, mais dans chaque ville où j’arrive, il y a toujours quelque histoire dont