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imperceptibles, et importants cependant, du caractère humain et de la sagesse pratique, ne puise-t-il pas à son insu dans l’étincelant persiflage d’une telle compagne ! Notre éducation est rarement complète sans un pareil enseignement.

« Et ainsi, vous ne pensez pas que ces majestueux Romains fussent, après tout, si différents de nous ? dit Valérie, un jour qu’ils admiraient la même terre et le même océan qu’avaient contemplé les regards du voluptueux, mais auguste Lucullus.

— Dans les derniers jours de leur république, un coup d’œil jeté sur leur état social pourrait nous donner une idée générale du nôtre. Leur système était le même : une grande aristocratie, agitée et soulevée par le vaste océan démocratique, qui mugissait au-dessous et autour d’elle, mais conservant toujours l’ambition et l’intelligence qui faisaient sa force. Une immense distance entre le riche et le pauvre ; une noblesse somptueuse, opulente, civilisée, sans pourtant beaucoup de raffinement ni d’élégance ; un peuple avec de puissantes aspirations vers une liberté plus parfaite, mais toujours prêt, dans un moment de crise, à se laisser influencer et dominer par sa vénération profondément enracinée pour cette aristocratie même, contre laquelle il luttait ; une route toujours ouverte, à travers les murailles de l’habitude et du privilége, à toutes les ambitions et à tous les talents ; mais un respect si grand et si universel pour l’opulence, que l’âme la plus noble devenait avare, rapace et corrompue, presque sans s’en douter ; l’homme sorti des rangs du peuple ne se faisait pas scrupule de s’enrichir en profitant des abus qu’il affectait de déplorer ; et tel qui aurait volontiers donné sa vie pour sa patrie ne pouvait s’empêcher de plonger les mains dans les coffres publics. Cassius, le patriote ferme et prévoyant, avec un cœur d’airain, avait, vous vous en souvenez, une main avide. Pourtant, quel coup porté aux espérances et aux rêves du monde, que le renversement du parti de la liberté après la mort de César ! Combien de générations d’hommes libres tombèrent dans les plaines de Philippes ! En Angleterre, peut-être aurons-nous un jour la même lutte ; en France aussi, mais sur un plus grand théâtre, avec des acteurs plus ardents, nous voyons déjà aux prises les mêmes éléments dont la lutte ébranla Rome jusque dans ses fondements, qui rétablit enfin à la tête de l’État le généreux Jules et l’hypocrite Auguste, qui renversa les colosses patriciens pour les remplacer par les nains dorés d’une cour, habile à tromper le