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Or, il y avait, dans Valérie de Ventadour, un spécimen de l’existence, que Maltravers n’avait pas encore rencontré ; et de son côté, il offrait peut-être, à la belle Française, une étude aussi nouvelle. Ils étaient enchantés de la société l’un de l’autre, quoique, par je ne sais quel hasard, ils ne fussent jamais d’accord.

Madame de Ventadour montait à cheval, et Maltravers était un de ses compagnons habituels. Les beaux paysages qu’ils traversaient ensemble, dans leurs excursions de chaque jour !

Maltravers était admirablement lettré. Les trésors des morts immortels lui étaient aussi familiers que sa propre langue. La poésie, la philosophie, la manière de penser, les habitudes de la vie du gracieux Hellène, ou du voluptueux Romain, étaient un genre de savoir qui constituait une partie habituelle et intime des associations et des particularités de son esprit. Son intelligence était saturée de l’antique Pactole, et charriait, à chaque marée, les paillettes d’or du classique Tmolus. Cette connaissance des morts, souvent bien inutile, possède un charme inexprimable quand on l’applique aux lieux où vécurent les morts. On se soucie peu des anciens sur Highgate Hill ; mais à Baïa, à Pompéïa, à côté de l’Hadès de Virgile, les anciens sont une société qu’on brûle de connaître intimement. Quel cicerone qu’Ernest Maltravers pour cette vive et curieuse Française ! Avec quelle avidité elle prêtait l’oreille aux récits d’une vie plus élégante que celle de Paris, d’une civilisation que le monde ne retrouvera plus jamais ! Et tant mieux ! car c’était une civilisation pourrie jusqu’à la moelle, quoique la surface en fût si brillante. Ces noms glacés, ces ombres sans corps, qui avaient maintes fois fait bâiller madame de Ventadour, dans de sèches histoires, puisaient dans l’éloquence de Maltravers le souffle de la vie ; elles se réchauffaient et s’animaient ; elles couraient aux festins et aux amours ; elles étaient sages ou folles, tristes ou gaies, comme des êtres vivants. D’un autre côté, les livres dont Valérie tirait son instruction élégante et ses observations intéressantes révélaient à Maltravers mille secrets nouveaux qui lui faisaient mieux connaître le monde actuel et réel. C’est un grand pas dans la philosophie de la vie, que fait un jeune homme de génie, lorsqu’il commence à comparer ses théories et son expérience à l’esprit d’une femme du monde aimable et spirituelle ! Peut-être n’y gagne-t-il pas grande élévation, mais combien il s’éclaire et se perfectionne à ce contact ! Que de mystères