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tadour brillaient à travers toutes les ombres du passé ! Délicieux enivrement ! Breuvage de la fiole couleur de rose !… Ce n’est que de l’imagination, mais cela paraît de l’amour !


CHAPITRE II.

Ainsi parle le pèlerin : « Misérable est l’homme qui lâche la bride aux passions : quand elles naissent elles sont faibles et pâles, mais bientôt, si on les laisse faire, elles grandissent effroyablement ; c’est pendant qu’elles sont faibles qu’il faut se hâter de les combattre. »
(Spenser.)

Maltravers alla souvent chez madame de Ventadour ; elle recevait deux fois par semaine, et restait trois fois pour ses amis. Maltravers fut bientôt de ces derniers. Dans son enfance madame de Ventadour avait habité l’Angleterre, car ses parents y avaient émigré. Elle parlait l’anglais correctement et avec facilité, et Maltravers en était charmé ; bien que la langue française lui fût assez familière, il éprouvait, comme tous ceux qui tirent plus vanité de leur esprit que de leur personne, une orgueilleuse répugnance à hasarder ses plus nobles pensées sous le domino d’une langue étrangère. Peu nous importe que notre accent soit défectueux, que notre langage soit incorrect, lorsque nous débitons des riens ; mais si nous exprimons un peu de la poésie qui est en nous, nous frémissons à l’idée de risquer le moindre solécisme.

Ceci s’appliquait particulièrement à Maltravers ; car, non-seulement l’insouciant adolescent était devenu un homme d’un caractère fier et d’un goût délicat, mais il avait d’ailleurs une disposition naturelle pour tout ce qui est bienséant. Cette tendance se trahissait à son insu dans les plus petites choses ; c’est elle qui engendre le bon goût. Et c’était, en effet, un bon goût inné qui rachetait l’indifférence témoignée par Ernest pour ces détails personnels dans lesquels les jeunes gens mettent généralement tant d’amour-propre. Une netteté habituelle et militaire, un amour de l’ordre et de la symétrie, remplaçaient chez lui l’attention minutieuse donnée à la toilette ou à la représentation.