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en souriant ; c’est plutôt une belle tête, qu’un beau visage. Je voudrais bien savoir s’il est instruit. Mais, vous autres Anglais, milord, vous avez tous reçu une belle éducation.

— Oui, profonde, profonde ; nous sommes profonds, non pas superficiels, réplique lord Taunton, en tirant les poignets de sa chemise.

— Madame de Ventadour veut-elle me permettre de lui présenter un de mes compatriotes ? dit l’ambassadeur anglais, en s’approchant : M. Maltravers. »

Madame de Ventadour sourit et rougit un peu, quand elle leva les yeux, et qu’elle vit le fier et sérieux visage qu’elle avait remarqué, penché vers elle, avec admiration.

La présentation était faite. On échangea quelques monosyllabes. Le diplomate français se leva et s’éloigna avec le diplomate anglais. Maltravers devint possesseur de la chaise vacante.

« Y a-t-il longtemps que vous êtes à l’étranger ? demanda madame de Ventadour.

— Quatre ans seulement ; assez longtemps, cependant, pour que je puisse me demander si je ne me sentirais pas plus à l’étranger maintenant en Angleterre.

— Vous avez été en Orient ? Vous me faites envie. La Grèce et l’Égypte ! quelles associations ! Vous avez voyagé dans le passé ; vous avez fui la civilisation, comme l’aurait souhaité Madame d’Épinay, pour le roman.

— Pourtant madame d’Épinay passa sa vie à faire de jolis romans, tirés d’une civilisation fort agréable, dit Maltravers en souriant.

— Vous connaissez donc ses mémoires ? dit madame de Ventadour en rougissant un peu. Dans le courant d’une littérature plus émouvante, il y a peu de personnes qui aient trouvé le temps de lire les écrits secondaires du siècle passé.

— Ces œuvres de second ordre ne sont-elles pas quelque fois les plus charmantes, dit Maltravers, quand la médiocrité de leur conception semble presque tenir à une délicatesse de sentiments touchants, quoique un peu faible ? Les mémoires de madame d’Épinay ont ce caractère. Ce n’était pas une femme vertueuse ; mais elle avait le sentiment de la vertu, et elle l’aimait ; ce n’était pas une femme de génie ; mais elle était au plus haut degré susceptible de ressentir toutes les influences du génie. Il y a des gens qui semblent nés avec le tempérament et les goûts du génie, sans en posséder le pouvoir créateur ; ils en ont le système nerveux, mais il y a quelque