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cheveux et les favoris coiffés et pommadés dans le sublime de la perfection, soupirait à sa gauche ; l’ambassadeur français, insinuant, éloquent et fier, était assis à sa droite ; autour d’elle, de tous côtés, se pressaient et se confondaient en saluts et en compliments, une foule de secrétaires diplomatiques, et de ces princes italiens, dont la banque est à la table de jeu et les propriétés dans leurs galeries, dont ils vendent un tableau comme les gentilshommes anglais abattent un bois, quand les cartes ont tourné contre eux. Charmante de Ventadour ! Elle avait le talent de les enchaîner tous ! Elle souriait aux silencieux, badinait avec les gens d’humeur légère, parlait politique avec le Français, poésie avec l’Allemand ; en un mot, elle déployait pour tous l’éloquence de la grâce ! Elle paraissait plus jolie que jamais. Une petite teinte de rouge rehaussait son teint transparent, et faisait étinceler ses grands yeux, noirs et brillants, où la douceur se cachait sous l’éclat : on ne trouve guère que chez les Françaises ces yeux-là, qui n’ont rien de l’expression d’inintelligente langueur des Espagnoles, ou du regard majestueux et farouche des Italiennes. Sa robe de velours noir et son gracieux chapeau, orné d’une plume princière, contrastaient avec la blancheur d’albâtre de ses bras et de son cou. Grâces à ses yeux, à sa peau, à son teint d’une nuance si riche, à ses lèvres rosées et à ses petites dents blanches comme de l’ivoire, il ne pouvait y avoir de critique assez froid ni assez amer pour observer que le menton était trop pointu, la bouche trop grande, et que le nez, si joli de face, était loin d’être parfait de profil.

« Madame est-elle allée à la Strada Nuova, aujourd’hui ? demanda l’Allemand, avec autant de douceur dans la voix qu’il en eût mis à prononcer un serment d’éternel amour.

— Quel autre emploi pouvons-nous faire de nos matinées, nous autres femmes ? répliqua madame de Ventadour. Notre vie est une flânerie continuelle, depuis le berceau jusqu’à la tombe ; et nos après-dînées ne sont que le type de notre carrière : une promenade dans la foule ; voilà tout ! Nous ne voyons le monde qu’en calèche découverte.

— C’est la façon la plus agréable de le voir, dit sèchement le Français.

— J’en doute ; la pire de toutes les fatigues, c’est celle qui vient sans exercice.

— Voulez-vous me faire l’honneur de m’accorder une valse ? dit le grand lord anglais, soupçonnant vaguement que ma-