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arrivé telle ou telle chose. » L’idole est intéressante par elle-même, et par conséquent son attribut saillant et populaire est adoré.

Or, Mme de Ventadour était, à Naples, la beauté du moment ; et quoiqu’il se trouvât dans la salle cinquante femmes plus belles, personne n’eût osé le dire. Les femmes elles-mêmes reconnaissaient sa supériorité, car c’était la femme la mieux mise que la France pût offrir aux regards. Il n’est pas de prétentions auxquelles les dames cèdent plus volontiers que celles qui dépendent de cet art féminin que toutes étudient, et dans lequel le petit nombre excelle. Les femmes ne veulent jamais admettre la beauté d’un visage surmonté d’un chapeau de mauvais goût ; de même qu’elles n’avoueront pas facilement la laideur d’une personne qui porte des bonnets irréprochables. Mme de Ventadour possédait aussi le pouvoir magique qui résulte d’une haute distinction intuitive, perfectionnée au plus haut degré par l’habitude. Dans son air et dans tous ses mouvements, on reconnaissait la grande dame comme si la nature eût été chargée par le rang de lui assurer ce privilége. Elle descendait d’une des plus illustres maisons de France. Elle avait épousé, à seize ans, un homme d’une naissance égale à la sienne, mais vieux, triste et prétentieux : une caricature, plutôt qu’un portrait de cette grande noblesse française, aujourd’hui presque, sinon tout à fait éteinte. Mais la vertu de Mme de Ventadour était sans tache. Les uns disaient que c’était fierté, d’autres disaient que c’était froideur. Son esprit était pénétrant, courtois et vif, bien qu’elle sût le maîtriser ; sa haute distinction française différait beaucoup de l’imperturbable et léthargique taciturnité des Anglais. Toutes les personnes silencieuses peuvent paraître d’une élégance conventionnelle. Un groom épousa une dame fort riche ; il craignait les plaisanteries des convives que son nouveau rang assemblait à sa table. Un ecclésiastique d’Oxford lui donna ce conseil : « Portez un habit noir et taisez-vous ! » Le groom suivit cet avis, et on le considère partout comme un des hommes les plus comme il faut du comté. La conversation est la pierre de touche de la vraie délicatesse et de cette grâce fine qui constitue l’idéal des manières d’une cour, sous leur rapport moral. Mme de Ventadour était assise à quelque distance des danseurs ; le silencieux dandy anglais, lord Taunton, admirablement mis, et d’une riche taille, se tenait tout droit derrière sa chaise ; le sentimental baron allemand, von Schomberg, couvert de décorations, les