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avait décidé qu’Ernest serait son compagnon de voyage. Une fois cette résolution prise, il lui fut facile de la mettre à exécution.

Maltravers s’était vivement attaché à son nouvel ami, et il désirait ardemment changer de lieux. Cleveland regrettait de se séparer de lui ; mais il craignait une rechute, lorsque le jeune homme serait de nouveau abandonné à lui-même. On obtint donc facilement le consentement du tuteur ; on acheta une voiture de voyage ; on la garnit de tous les coffres et de toutes les malles imaginables. On loua les services d’un Suisse (moitié valet, moitié courrier) ; mille livres sterling par an furent allouées à Maltravers ; et par une tiède et délicieuse matinée de la fin d’octobre, les deux amis se trouvèrent à mi-chemin sur la route de Douvres.

« Que je suis content de quitter l’Angleterre ! dit Ferrers ; c’est un fameux pays pour les riches ; mais ici, un revenu de huit cents livres sterling, sans autre profession que l’amour du plaisir, ne couvre que les dépenses du poivre et du sel, tandis qu’à l’étranger c’est une opulente aisance.

— Il me semble avoir entendu dire à Cleveland que vous serez riche un jour.

— Oh ! oui ; j’ai ce qu’on est convenu d’appeler des espérances. Il faut que vous sachiez que j’ai une espèce de position mal assise entre deux chaises, la naissance et la fortune ; mais entre deux chaises… vous savez le proverbe ? Le comte de Saxingham actuel, autrefois Frank Lascelles tout bonnement, était le cousin germain de mon père, monsieur Ferrers. Deux ou trois parents eurent l’obligeance de mourir, et Frank Lascelles devint comte. Les biens n’accompagnèrent pas le titre ; il était pauvre, et il épousa une héritière. Cette dame mourut ; sa fortune passa par contrat entre les mains de son unique enfant, la plus belle petite fille que vous ayez jamais vue. La jolie Florence ! Je voudrais bien pouvoir élever mes vues jusqu’à elle ! Et puis elle pourra disposer de presque toute sa fortune lorsqu’elle sera majeure. Pour le moment, elle est encore dans la nursery[1], où elle mange des tartines de miel. Mon père, moins fortuné et moins sage que son cousin, jugea à propos d’épouser une miss Templeton, une personne sans naissance. Les Saxingham désavouèrent poliment cette parenté. Or, ma mère avait un frère, un gaillard habile et actif dans ce

  1. Appartements réservés pour élever les enfants dans la famille.