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mais dont la génération qui nous a précédés voudrait nous détourner par ses avertissements. Il y a très-peu d’influence là où il n’y a pas beaucoup de sympathie. Maltravers était arrivé à une nouvelle époque dans sa vie intellectuelle. Pour la première fois il rencontrait un esprit qui dominait le sien. Peut-être l’état physique de ses nerfs le mettait moins à même de lutter contre les exigences un peu brutales, quoique au fond pleines de bonhomie, de Ferrers. Chaque jour cet étranger acquérait un plus grand empire sur Maltravers. Ferrers, qui était un parfait égoïste, ne sollicitait jamais la confiance de son nouvel ami ; il ne se souciait pas le moins du monde des secrets d’autrui, à moins qu’il ne pût les faire tourner à son avantage. Mais il parlait avec tant d’entrain de lui-même, des femmes, du plaisir, de la vie joyeuse et animée des capitales, que le jeune esprit de Maltravers se réveilla de sa sombre léthargie, sans y faire le moindre effort. Les noirs fantômes s’évanouirent par degrés ; sa raison se dégagea du nuage qui l’obscurcissait ; il recommença à sentir que Dieu nous a donné le soleil pour illuminer le jour, et que du sein même des ténèbres il a fait surgir des légions d’étoiles.

Nul autre peut-être n’aurait réussi à le guérir si promptement de son maladif enthousiasme ; il n’aurait pas prêté l’oreille aux âpres sarcasmes d’un incrédule, et il aurait regardé un ministre de la religion, tolérant et éclairé, comme un conciliateur mondain et adroit des lois du ciel et des habitudes de la terre. Mais Lumley Ferrers qui, lancé une fois dans la discussion, ne permettait jamais qu’on lui opposât un sentiment ou un exemple, qui brandissait sa simple logique de fer comme un marteau, dont le métal, sans être brillant, faisait jaillir à chaque coup les étincelles de la pensée ; Lumley Ferrers, dis-je, était précisément l’homme fait pour résister à l’imagination, et convaincre la raison de Maltravers. Du moment qu’ils en vinrent aux arguments, la cure fut bientôt complète. À quelque point qu’on puisse obscurcir et égarer son intelligence, par des chimères et des visions, et par les subtilités d’un mysticisme superstitieux, nul ne peut mathématiquement et le syllogisme à la main, soutenir que le monde créé par un Dieu, et visité par un sauveur, est prédestiné à l’éternelle condamnation !

Un soir Ernest Maltravers se retira silencieusement dans sa chambre, ouvrit le Nouveau Testament, et en lut les divers préceptes avec des yeux dessillés ; quand il eut achevé cette