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arriver, fût-ce même par un dissyllabe superflu ; vous êtes Maltravers, je suis Ferrers. Mais vous alliez parler de la vie. Si nous vivions un peu au lieu d’en parler ? Allons faire un tour dans la propriété ; j’ai besoin de gagner de l’appétit. D’ailleurs j’aime la nature, quand il n’y a pas de montagnes suisses à escalader avant d’arriver à une vue. Allons !

— Excusez-moi, commençait Maltravers, à demi intéressé, à demi contrarié.

— J’aimerais mieux me faire fusiller. Allons, venez ! »

Ferrers tendit à Maltravers son chapeau, passa un bras sous celui de son nouvel ami, et avant qu’Ernest s’en doutât, ils étaient déjà sur la grande terrasse à côté du lac.

Que les discours de Ferrers étaient animés, excentriques, faciles ! car c’étaient plutôt des discours qu’une conversation, puisqu’il avait toujours la parole. Il jouait avec les livres, les hommes et les choses comme une raquette avec des volants, et puis son récit égoïste d’une cinquantaine d’aventures dont il avait été le héros, était si amusant qu’on ne pouvait s’empêcher de rire de lui, avec lui.


CHAPITRE XVI.

La brillante étoile du matin, messagère du jour, arrive joyeuse de l’Orient.
(Milton.)

Jusqu’alors Ernest n’avait pas rencontré un esprit qui exerçât une grande influence sur le sien. Chez lui, en pension, à Göttingen, partout, il avait été le chef brillant et absolu des autres ; il avait exercé l’empire de la persuasion ou du commandement sur de plus vieilles têtes et sur de plus habiles que lui ; Cleveland lui-même lui cédait toujours, sans s’en douter. Le fait est qu’il est rare qu’on se laisse fortement influencer par des personnes beaucoup plus âgées que soi. C’est celui qui est notre aîné de quelques années seulement qui nous séduit et nous domine le plus. Il a les mêmes occupations, les mêmes ambitions, les mêmes plaisirs, le même but que nous, avec plus d’art et plus d’expérience en toutes choses. Il parcourt avec nous le sentier que nous sommes appelés à fouler,