Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/73

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

large cette partie du péristyle qui s’étendait le long du corps de logis le moins fréquenté. Ses bras croisés, ses yeux fixés à terre, ses sourcils contractés, et sa physionomie (qui autrefois aurait pu, comme la vérité, mettre en fuite le diable et porter un défi au monde), aussi sombre que celle de l’ange des ténèbres, Ernest poursuivait, au travers de la Vallée des Ombres, la pensée malfaisante qui le dominait. Soudain il s’aperçut de la présence de quelque chose, de quelque obstacle qu’il n’avait pas rencontré auparavant. Il tressaillit et vit devant lui un jeune homme simplement vêtu, d’une tournure distinguée et d’une figure remarquable.

« Monsieur Maltravers, je crois ? dit l’étranger, et Ernest reconnut la voix qui l’avait si fort dérangé : c’est avoir de la chance ; nous pouvons maintenant nous présenter l’un à l’autre, car il paraît que Cleveland a le désir de nous voir lier intimement… M. Lumley Ferrers, M. Ernest Maltravers… Allons, je suis le plus âgé, ainsi je vous offre ma main le premier, avec un sourire convenable. On sourit toujours quand on fait une nouvelle connaissance ! Allons, voilà une affaire terminée. De quel côté allez-vous ? »

Maltravers savait faire preuve, quand il le voulait, d’autant de glaciale dignité que s’il n’eût jamais quitté l’Angleterre. En cette circonstance, il se redressa d’un air d’étonnement offensé ; il dégagea sa main de l’étreinte de Ferrers et lui dit très-froidement :

« Excusez-moi, monsieur, j’ai affaire. »

Et il s’achemina majestueusement vers sa chambre. Il se jeta dans un fauteuil, et il avait presque oublié sa contrariété récente, lorsque, à sa surprise inexprimable et à son grand courroux, il entendit de nouveau, à côté de lui, la même voix vibrante et claire.

Ferrers l’avait suivi par la porte-fenêtre jusque dans sa chambre.

« Vous avez affaire, dites-vous, mon cher. Moi, j’ai quelques lettres à écrire ; nous ne nous gênerons pas mutuellement ; ne vous dérangez pas. »

Et Ferrers s’assit devant le bureau, trempa une plume dans l’encrier, disposa le buvard et le papier devant lui en règle, et fut bientôt occupé à couvrir page après page du griffonnage le plus rapide et le plus hiéroglyphique qui ait jamais fait le bonheur d’une maîtresse ou le désespoir d’un créancier.

« L’insolent manant ! » grommela presque à haute voix Mal-