Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


CHAPITRE XV.

Intelligent, hardi, turbulent d’esprit, remuant, sans fixité de principes ni de demeure.
(Dryden).
Quiconque possède un très-grand nombre d’idées intéressant la société dans laquelle il vit, sera regardé dans cette société comme un homme de mérite.
(Helvétius.)

À l’époque où l’esprit d’Ernest Maltravers était si malade qu’il ne pouvait l’être davantage, un jeune homme vint passer quelques jours à Temple-Grove. Ce jeune homme s’appelait Lumley Ferrers, il avait à peu près vingt-six ans ; il possédait une fortune d’environ huit cents livres sterling de revenu ; il n’avait point de profession. Lumley Ferrers n’avait pas ce qu’on appelle habituellement du génie, c’est-à-dire qu’il n’avait pas d’enthousiasme ; et si, par le mot talent, on entend celui de faire quelque chose mieux que les autres, Ferrers ne pouvait avoir de prétentions de ce côté-là. Il n’avait pas de talent pour écrire, il n’en avait ni pour la musique, ni pour la peinture, ni pour aucun art, et jusque-là il n’avait pas révélé le solide, l’utile, le positif talent des affaires. Mais Ferrers avait ce qui vaut mieux souvent que le génie ou le talent, il avait un esprit énergique et pénétrant. Il avait, de plus, une grande vivacité de manières, beaucoup d’ardeur physique, une conversation spirituelle, originale, piquante, une parfaite assurance et une confiance profonde dans ses propres ressources. Il aimait les manœuvres, les stratagèmes, les intrigues ; cela l’amusait et l’excitait. Il maniait bien le sarcasme et le raisonnement, et il obtenait généralement une influence extraordinaire sur les personnes avec lesquelles il se trouvait en contact. Sa vivacité et une heureuse franchise de manières faisaient accepter et déguisaient même les vices les plus saillants de son caractère, qui étaient l’endurcissement à tout sentiment affectueux et l’indifférence à tout sentiment moral. Quoique moins savant que Maltravers, c’était, en somme, un homme fort instruit. Il possédait la superficie de plusieurs sciences ; il se rendait compte de leurs principes