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mauvaise peut-être que Schiller. Vous arrivez de suite sous le péristyle, vous voyez. Je m’imagine que le meerschaum est favorable aux fleurs, ainsi je n’ai pas de scrupules à cet égard. Mais, mon cher enfant, comme vous êtes pâle ! Voyons, remettez-vous, remettez-vous ! Allons, il faut que je m’en aille, moi-même, sans quoi la contagion me gagnerait. »

Cleveland s’en alla précipitamment ; il pensait à l’ami qu’il avait perdu. Ernest se laissa tomber sur la première chaise qu’il trouva, et se couvrit le visage de ses mains. Le valet de chambre de Cleveland entra et se mit activement à déballer le portemanteau d’Ernest, et à préparer ses vêtements pour la soirée. Mais Ernest ne changea pas d’attitude, ne proféra pas un mot ; on sonna la première cloche ; la seconde retentit sans arriver jusqu’à son oreille. Il était complétement accablé par ses émotions. Les premiers accents de la voix affectueuse de Cleveland avaient touché une corde sensible, que plusieurs mois d’anxiété et d’angoisse avaient tendue jusqu’à l’angoisse, sans la faire vibrer jusqu’aux larmes. Ses nerfs, ses jeunes et robustes nerfs étaient ébranlés ! En voyant Cleveland, il pensa d’abord au père que la mort lui avait enlevé ; mais lorsque, en jetant un coup d’œil autour de la chambre qui lui avait été préparée, il remarqua la sollicitude pour son bien-être, et l’affectueux ressouvenir de ses moindres goûts, qui se lisait partout, l’image d’Alice, si prévenante, si humble, si aimante, d’Alice qu’il avait perdue, se dressa devant lui.

Étonné que son pupille se fît si longtemps attendre, Cleveland revint auprès de lui ; Ernest était toujours assis à la même place, la figure cachée dans ses mains. Cleveland les écarta doucement, et Ernest se prit à sangloter comme un enfant. Il était facile de faire surgir les larmes dans les yeux de ce jeune homme ; une pensée généreuse ou touchante, une vieille chanson, une simple mélodie suffisaient à produire cette émotion féminine. Mais l’effusion violente et terrible qui appartient à l’homme quand il est tout à fait démoralisé : c’était la première fois qu’il éprouvait le soulagement de cette orageuse amertume.