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et libérale économie, cette fortune suffît à toutes ses élégantes fantaisies. Mais ces tableaux avaient un intérêt en dehors de l’intérêt artistique, et leurs sujets étaient à la portée d’un collectionneur d’opulence ordinaire. Ils formaient une série de portraits (dont quelques-uns étaient des originaux et d’autres des copies, et ces derniers étaient souvent les meilleurs) des auteurs favoris de Cleveland, et ce qui caractérisait l’homme, c’est que le visage ridé et méditatif de Pope avait la place d’honneur, au centre de la galerie. Par une disposition heureuse, cette pièce communiquait avec la bibliothèque, la plus grande chambre de la maison, la seule même qui fût remarquable par sa grandeur aussi bien que par sa décoration. Elle avait environ soixante pieds de longueur. Les rayons étaient surmontés de bustes en bronze, tandis que, de distance en distance, s’ouvraient des arcades légères ornées de statues et garnies de miroirs, qui faisaient l’effet de galeries ménagées au milieu des murailles tapissées de volumes, et qui donnaient à l’appartement une quiétude et une aisance classique d’un effet inconcevable. Les fenêtres qui ouvraient sur le péristyle, et qui permettaient de délicieux aperçus des statues, des fleurs, des terrasses et du lac au delà, s’harmonisaient si bien avec ces arcades, qu’on était tenté de croire que les points de vue naturels étaient des toiles de quelque grand maître, représentant les jardins poétiques qui couronnent encore les collines de Rome. Le coloris même du paysage, les jours où le soleil resplendissait, favorisait cette illusion, grâces aux teintes riches et foncées des draperies sévères qui encadraient les fenêtres, et des vitraux coloriés qui en garnissaient la partie supérieure. Cleveland aimait tout particulièrement la sculpture ; il appréciait aussi l’impulsion puissante que cet art a reçue en Europe depuis un demi-siècle. Il était même en état de proclamer l’opinion, imparfaitement admise encore dans ce pays, que Flaxman a surpassé Canova. Il aimait la statuaire non-seulement pour sa beauté intrinsèque, mais aussi parce qu’elle contribue à embellir les lieux où elle est admise et qu’elle leur prête un charme intellectuel. Les collectionneurs de statues ont le tort grave, disait-il souvent, de les ranger pêle-mêle, dans de longues et monotones galeries. Un seul bas-relief, une statue, un buste, ou même un simple vase placé avec discernement dans la plus petite chambre que nous habitons, nous charme infiniment plus que ces gigantesques muséums, entassés dans des salles où l’on n’entre que par