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reur, que l’art du propriétaire ne sût faire valoir en lui donnant un cachet tout particulier.

Sans être surchargée, ou minutieusement recherchée dans les détails (faute commune chez les riches), la propriété tout entière semblait un jardin cultivé et varié ; l’air même, à chaque détour de la route, semblait emprunter à une végétation différente, un parfum différent ; et les couleurs des fleurs et du feuillage variaient aussi à chaque nouvel aspect. Lorsque enfin on apercevait la maison, adossée à une colline boisée, et située au milieu d’une pelouse qui descendait par une pente douce vers un lac transparent, ombragé de tilleuls et de châtaigniers, toute la perspective recevait soudain sa dernière touche, et apparaissait dans son entière perfection. La maison était longue et basse. Sur toute sa longueur s’étendait un large péristyle qui soutenait le toit, et qui, élevé sur un soubassement, avait l’apparence d’une terrasse couverte ; de larges perrons, avec des balustrades massives chargées de vases contenant des aloès et des orangers, conduisaient à la pelouse ; sous le péristyle étaient rangées des statues, des antiquités romaines et des plantes exotiques. En deçà du lac, une autre terrasse, très-large, et ornée de distance en distance d’urnes et de sculptures, contrastait avec le talus ombragé de l’autre rive ; et, par des éclaircies inattendues au milieu des arbres, on avait ménagé de là des vues délicieuses du paysage lointain, au milieu duquel serpentait la majestueuse Tamise. L’intérieur de la maison était dans le même goût que l’extérieur. Tous les principaux appartements, même les chambres à coucher, étaient de plain-pied. Un vestibule octogone, élevé quoique petit, servait d’entrée à un appartement composé de quatre chambres. D’un côté se trouvait une salle à manger, de moyenne dimension, dont le plafond était une copie des Heures, du Guide, au riche et brillant coloris ; des paysages, peints par Claveland lui-même et qu’un maître n’aurait pas désavoués, étaient encadrés dans les panneaux. Un seul morceau de sculpture, une copie du Faune jouant de la flûte, se détachait, sans assombrir l’appartement, au milieu de la large fenêtre en ogive qui lui servait de niche, et dont les draperies violettes et oranges reflétaient sur la statue une teinte de chair. Cette salle était contiguë à une petite galerie de tableaux, où n’abondaient pas, à vrai dire, ces immortels chefs-d’œuvre que les princes eux-mêmes se disputent ; car la fortune de Cleveland n’était que celle d’un simple gentilhomme, quoique, administrée avec une sage