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du côté maternel, d’une fortune de quatre mille livres sterling de revenu, ce qui le rendait indépendant de son père. Cette circonstance relâcha encore davantage les liens qui les unissaient ; et ainsi, par degrés, M. Maltravers apprit à considérer Ernest moins comme un fils qu’il dût conseiller, réprimander, louer ou diriger, que comme un jeune garçon intéressant, affectueux, plein d’avenir, qui de manière ou d’autre, sans qu’il en coûtât de peine à son père, devait très-probablement faire grand honneur à sa famille, et se passer toutes ses fantaisies, grâce à ses quatre mille livres sterling de revenu. La première perplexité sérieuse qu’éprouva M. Maltravers au sujet de son fils, fut lorsque celui-ci, à l’âge de seize ans, ayant appris l’allemand tout seul, et ayant enivré sa vive imagination par la lecture de Werther et des Brigands, exprima son désir, qui ressemblait beaucoup à une prière, d’aller à Göttingen au lieu d’étudier à Oxford. Jamais les idées de M. Maltravers sur les études propres à compléter convenablement l’éducation d’un gentilhomme ne reçurent un coup plus violent et plus rude. Il bégaya un refus, et courut s’enfermer dans son cabinet de travail, où il écrivit une longue lettre à Cleveland, qui, étant lui-même un lauréat d’Oxford, serait, à n’en pas douter, de son avis. Cleveland, en réponse à cette lettre, vint lui-même ; il écouta silencieusement tout ce que le père avait à dire ; puis il fit une longue promenade dans le parc avec le jeune homme. Le résultat de cette dernière conférence, fut l’adhésion de Cleveland aux vues d’Ernest.

« Mais, mon cher Frédéric, dit le père étonné, je croyais que ce garçon-là devait remporter tous les prix à Oxford ?

— J’en ai remporté quelques-uns, moi, Maltravers ; mais je ne vois pas le bien que cela m’ait fait.

— Oh ! Cleveland.

— Je parle sérieusement.

— Mais c’est une si singulière fantaisie.

— Votre fils est un très-singulier jeune homme.

— Je le crains !… je le crains, pauvre garçon ! Mais qu’apprendra-t-il à Göttingen ?

— Les langues et l’indépendance, dit Cleveland.

— Et les classiques, les classiques ! Vous qui êtes un helléniste de premier ordre !

— Il y a des hellénistes très-distingués en Allemagne, répondit Cleveland, et Ernest ne peut guère désapprendre ce qu’il sait déjà. Mon cher Maltravers, ce garçon-là ne ressemble