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prix, avait-il besoin d’argent, ambitionnait-il un livre, Cleveland était le premier à en recevoir confidence. Par bonheur, aussi, Ernest manifestait parfois des goûts que le gracieux auteur trouvait semblables aux siens. Des talents très-remarquables, et le désir d’apprendre se développèrent chez lui de bonne heure ; mais tout cela était accompagné d’une puissance de vie et d’âme, d’une énergie, d’une audace qui donnaient à Cleveland quelques inquiétudes, et qui ne lui paraissaient pas d’accord avec la timidité mélancolique d’un génie naissant ou la calme sérénité d’un savant précoce. Cependant les relations entre le père et le fils étaient assez singulières. M. Maltravers avait vaincu sa première répugnance assez naturelle, pour l’innocente cause de la perte irréparable qu’il avait éprouvée. Il aimait son fils et il en était fier, comme de tout ce qui lui appartenait. Il le gâtait et le choyait encore plus que Cleveland. Mais il se mêlait fort peu de son éducation ou de ses goûts. Son fils aîné Cuthbert n’absorbait pas toute son affection, mais il absorbait toute sa sollicitude. C’était à Cuthbert qu’il devait léguer son ancien nom et ses domaines héréditaires. Cuthbert n’était pas un génie, et l’on n’avait pas l’intention qu’il le devînt ; il devait être un gentilhomme accompli et un grand propriétaire. Le père comprenait Cuthbert, et pouvait clairement prévoir son caractère et son avenir. Il n’éprouvait aucun scrupule à diriger son éducation, et à former son jeune esprit. Mais Ernest l’embarrassait. Il éprouvait même un peu de gêne dans la société de l’enfant ; il n’avait jamais pu vaincre complétement le premier sentiment de surprise qu’il avait éprouvé vis-à-vis de lui, la première fois que Cleveland le lui avait rendu, en lui prodiguant ses recommandations pour la santé de l’enfant, etc. Il lui semblait toujours que son ami partageait ses droits sur lui ; et il se croyait à peine le droit de gronder Ernest, tandis qu’il jurait bien souvent après Cuthbert. À mesure que le fils cadet grandissait, il devenait certainement évident que Cleveland le comprenait mieux que son propre père ; de sorte que, comme je l’ai déjà dit, le père n’était pas fâché de confier passivement à Cleveland la responsabilité de l’éducation de son second fils.

Peut-être M. Maltravers n’eût-il pas été si indifférent si l’avenir d’Ernest eût été semblable à celui des fils cadets en général. S’il eût été nécessaire qu’il embrassât une profession, M. Maltravers aurait été naturellement plus soucieux de le voir s’y préparer convenablement. Mais Ernest avait hérité