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superficiels, Cleveland avait considérablement moins d’esprit et infiniment plus de cœur.

Feu M. Maltravers, qui n’avait rien de littéraire dans ses goûts mais qui néanmoins avait été grand admirateur des gens de lettres, était un seigneur de province élégant, distingué, hospitalier. C’était un des plus anciens amis de Cleveland ; ils avaient été camarades au collége d’Éton. Lorsque Cleveland fit son début dans la société, il y retrouva Henri Maltravers (le bel Henri !) qui était devenu le favori des clubs. Pendant une ou deux saisons ils furent inséparables ; et quand M. Maltravers se maria, lorsque passionné pour la vie de campagne, fier de son vieux manoir, et comprenant avec assez de justesse qu’il serait plus grand homme sur ses vastes domaines, que dans l’aristocratie républicaine de Londres, il se fixa paisiblement à Lisle-Court, Cleveland correspondit régulièrement avec lui, et vint le voir deux fois l’an. Mistress Maltravers mourut en donnant le jour à Ernest, son second fils. Son mari, qui l’aimait tendrement, fut inconsolable de sa mort. Il ne pouvait souffrir la vue de l’enfant qui lui avait coûté un si grand sacrifice. Cleveland et sa sœur, lady Julie Dauvers, étaient chez lui au moment de ce triste événement ; et lady Julia, avec une bonté judicieuse et délicate, offrit de recevoir, pendant quelques mois, l’innocent coupable au nombre de ses enfants. Cette proposition fut acceptée, et deux années s’écoulèrent avant que le petit Ernest rentrât dans la maison paternelle. La plus grande partie de ce temps, il la passa sous le toit célibataire de Frédéric Cleveland, où s’accomplirent tous les événements et les révolutions de sa vie de bébé. Il en résulta que ce dernier aima l’enfant comme un père. La première parole intelligible d’Ernest salua Cleveland du nom de papa : et lorsque, enfin, l’enfant fut déposé à Lisle-Court, Cleveland fit à toutes les bonnes des recommandations, des observations, des injonctions, des promesses et des menaces à perte d’haleine, qui auraient fait honte à plus d’une mère pleine de sollicitude. Cette circonstance créa un nouveau lieu entre Cleveland et son ami. Cleveland lui faisait maintenant trois visites par an au lieu de deux. On ne décidait rien pour Ernest sans l’avis de Cleveland. On ne lui fit même pas quitter ses robes sans avoir obtenu le grave assentiment de son second père. Cleveland fit choix d’une pension, et y conduisit Ernest, qui passait toujours une semaine de ses vacances avec lui. Le petit garçon était-il dans un mauvais pas, avait-il gagné un