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dents et en crispant les poings, ose seulement proférer un soupçon contre elle, et je t’écraserai sous mes pieds ! »

La vieille femme, qui avait juré que, pour rien au monde, elle ne resterait dans la maison après une nuit si terrible, venait d’apprendre le retour de son maître, et arrivait clopin-clopant. Elle s’approcha à temps pour entendre sa menace.

« Ah ! vous avez raison ; grondez-le bien, monsieur, que le bon Dieu vous bénisse ! C’est justement ce que je dis. Mademoiselle commettre un vol, que je dis, mademoiselle s’enfuir ! Oh ! non, soyez convaincu qu’ils l’ont assassinée, et qu’ils ont enterré son cadavre. »

Maltravers respira avec effort, mais, sans articuler un seul mot, il remonta en voiture, et se fit conduire chez le magistrat. Il trouva, dans ce fonctionnaire, un homme du monde honnête et intelligent. Il lui confia le secret de la naissance d’Alice et de la sienne. Le magistrat fut d’accord avec lui dans sa conviction, qu’Alice avait été retrouvée et enlevée par son père. Une nouvelle enquête eut lieu ; l’or fut prodigué. Maltravers lui-même se mit à la tête des recherches. Mais tous ses efforts aboutirent au même résultat, si ce n’est pourtant que, d’après les descriptions qu’on lui fit de la personne, des vêtements, des larmes de la jeune fille qui accompagnait les deux hommes, qu’on supposait être Darvil et Walters, il resta convaincu qu’Alice vivait encore ; il espérait qu’elle pourrait réussir à s’échapper et qu’elle reviendrait. Dans cette espérance il attendit plusieurs semaines, puis plusieurs mois dans le voisinage. Mais le temps s’écoulait, et il n’avait toujours pas de nouvelles. Il dut enfin quitter ces lieux si néfastes et si chers. Mais il s’était acquis l’amitié du magistrat, qui lui promit de lui faire savoir si Alice revenait, ou si on retrouvait la trace de son père. Il enrichit pour la vie mistress Jones, par reconnaissance de ce qu’elle avait protesté en faveur de l’objet malheureux de son premier amour. Il promit les plus généreuses récompenses à ceux qui lui fourniraient le moindre indice. Puis, désespéré, le cœur brisé, il obéit enfin aux sommations répétées et inquiètes du tuteur, aux soins duquel orphelin maintenant, il avait été confié jusqu’à sa majorité.