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dire qui valût la peine de l’occuper dans un pareil moment ? Mais lui, combien il était bon de lui écrire ! Quel prix elle attachait à ses lettres, qui pourtant ne répondaient pas à son attente et lui faisaient verser des torrents de larmes ! Elles étaient si courtes, si remplies de tristesse ; et puis elles contenaient si peu d’amour ! Comme ces mots chère, ou même chérie, qui étaient si tendres, lorsque sa voix les prononçait, paraissaient froids sur le papier inanimé ! Si au moins elle avait connu l’endroit précis où il se trouvait, c’eût été une petite consolation ; mais elle savait seulement qu’il était absent et malheureux, et, quoiqu’il ne fût pas à plus de trente milles de distance, il lui semblait qu’un espace incommensurable les séparait. Néanmoins elle se consolait de son mieux ; elle s’efforçait d’abréger les longues et tristes journées en jouant de nouveau tous les airs qu’il aimait, en relisant tous les passages qu’il admirait. Elle voulait qu’à son retour il remarquât ses progrès. Et puis comme il trouverait le jardin joli ! car tous les jours les arbres et les bosquets s’épanouissaient aux rayons du printemps qui s’avançait. Ah ! qu’ils seraient heureux encore ! Alice apprit dès lors à vivre dans l’avenir ; mais son jeune cœur ignorait que l’espérance n’est pas toujours un sûr prophète de l’avenir.

Maltravers, en quittant le cottage, avait oublié qu’Alice était sans argent, et, maintenant, voyant que son absence se prolongerait indéfiniment, il lui en envoya. Il y avait quelques factures à solder ; on devait aussi une partie du terme ; Alice, d’après les ordres qu’elle reçut de Maltravers, confia à la vieille servante un billet de banque avec lequel elle devait acquitter toutes ces petites dettes. Un soir que la bonne femme apportait à Alice le surplus de cet argent, elle lui parut fort émue. Elle était pâle, agitée et toute tremblante.

« Qu’avez-vous donc, mistress Jones ? Vous n’avez pas de nouvelles de lui… de… de mon… de votre maître ?

— Oh ! mon Dieu, non, mademoiselle, répondit mistress Jones ; comment pourrais-je en avoir ? Je ne voudrais pourtant pas vous effrayer, mais il y a eu deux vols affreux dans le voisinage.

— Dieu merci ! ce n’est que cela ! s’écria Alice.

— Oh ! n’allez pas remercier Dieu pour ça, mademoiselle ; c’est que c’est effrayant pour deux femmes seules comme nous ! avec des fenêtres comme celles-là, qui s’ouvrent jusqu’à terre ; Imaginez-vous que j’avais porté mon billet de banque à chan-