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CHAPITRE IX.

Ce que je te dois, ce sont des larmes ; et de tristes afflictions du cœur, que la nature, l’amour et la tendresse filiale te payeront largement, ô cher père !
(Shakspeare. Seconde partie de Henri IV, acte IV, scène iv.)

Il était tard quand la chaise de poste, qui amenait Maltravers, s’arrêta à la grille du parc. Un siècle parut s’écouler avant qu’on pût réussir à éveiller le paysan, gardien de la loge, qui dormait du profond et salutaire sommeil qui suit le travail.

« Mon père, s’écria-t-il quand la grille tourna en gémissant sur ses gonds, mon père !… va-t-il mieux ?… vit-il encore ?

— Oh ! que Dieu vous bénisse, monsieur Ernest, monsieur va un peu mieux ce soir.

— Dieu soit loué ! Allons… en avant ! »

Les chevaux fumants s’élancèrent dans une avenue qui serpentait au travers de bois antiques et vénérables. La lune éclairait paisiblement les pelouses, et le bétail, troublé dans son sommeil, se levait paresseusement pour regarder passer celui qui le dérangeait à cette heure intempestive.

Il n’y a rien de plus étrange et de plus féerique, que de voir à minuit un de ces vieux parcs anglais, avec leurs âpres terrains boisés, coupés par des ravins et des vallées, avec leur vieux gazon moussu, envahi par la fougère, et leurs arbres séculaires, qui ont ombragé sa naissance, et qui ombragent encore les tombeaux de cent générations. C’est là qu’on trouve les derniers vestiges, fiers, sombres et mélancoliques de la chevalerie normande et des vieilles traditions romantiques, léguées aux riants paysages de l’Angleterre civilisée. Ils jettent toujours sur les esprits sensibles à ces tableaux une impression de tristesse solennelle, semblable à celle qu’on éprouve à la vue de quelque édifice antique et sacré. Ce sont les cathédrales de la nature, avec leurs perspectives obscures, leurs troncs qui s’élancent comme des colonnes vers le ciel, et leurs voûtes d’épais feuillages. Dans les temps ordinaires c’est une tristesse qui plaît et charme plus que les riantes pe-