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Bientôt toute la maison fut en émoi. Le jardinier, qui se trouvait toujours là à l’heure du souper, courut à la ville commander des chevaux de poste. La vieille domestique était au désespoir au sujet de la blanchisseuse, car sa première et son unique préoccupation était pour « les chemises de Monsieur. » Ernest s’était enfermé dans sa chambre. Alice ! pauvre Alice !

Vingt minutes après, la chaise de poste était à la porte : et Ernest, pâle comme un mort, entra dans la chambre où il avait laissé Alice.

Elle était assise par terre, et tenait la fatale gazette sur ses genoux. Elle avait, en vain, cherché à découvrir ce qui avait si douloureusement affecté Maltravers, car, ainsi que je l’ai dit auparavant, elle ne connaissait pas son véritable nom, et par conséquent le funeste paragraphe n’avait pas même arrêté son regard.

Il lui prit le journal, il voulait le lire et le relire : peut-être quelque petit mot d’espoir ou d’encouragement lui avait-il échappé. Alors Alice se jeta dans ses bras.

« Ne pleurez pas, dit-il ; Dieu sait que j’ai déjà bien assez de chagrin ! Mon père se meurt ! Mon père si bon, si généreux, si indulgent ! Oh ! mon Dieu, pardonnez-moi ! Calmez-vous, Alice. Vous aurez de mes nouvelles d’ici à deux ou trois jours. »

Il l’embrassa ; mais son baiser était froid et contraint. Il se précipita hors de la maison. Elle entendit le bruit des roues sur le sable. Elle s’élança vers la fenêtre ; mais le visage bien-aimé n’était pas visible. Maltravers avait abaissé les stores, et s’était rejeté dans le fond de la voiture pour se livrer à sa douleur. Un moment encore, et la chaise de poste même qui l’entraînait avait disparu. Et devant elle il n’y avait plus que les fleurs, et la pelouse éclairée par la lueur des étoiles, et la riante fontaine, et le banc où ils s’étaient assis, pleins d’un bonheur si calme et si vrai. Il était parti ; et souvent, oh ! bien souvent, Alice se rappela que ses dernières paroles avaient été prononcées avec un accent étrange, que son dernier baiser avait été sans amour !