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serais très-satisfait d’être aussi bien que lui quand j’aurai son âge !

— Si vous étiez vieux, je ne m’en apercevrais jamais, car je vous vois comme je veux. Quelquefois, lorsque vous êtes pensif, vos sourcils se rencontrent, et vous avez l’air si sévère, que cela me fait trembler. Mais alors je pense à vous tel que vous étiez la dernière fois que vous m’avez souri, je vous regarde encore, et quoique vous fronciez encore le sourcil, il me semble que vous souriez. Je suis sûre que vous n’êtes pas le même aux yeux des autres qu’aux miens… et le temps me tuera, j’en suis sûre, avant de pouvoir vous changer à mes yeux.

— Charmante Alice, vous parlez avec éloquence, car vous parlez avec amour.

— C’est mon cœur qui vous parle. Ah ! que je voudrais qu’il pût vous exprimer tout ce qu’il sent. Je voudrais pouvoir faire des vers comme vous ; ou bien je voudrais que les paroles fussent de la musique !… je ne vous parlerais jamais autrement. Si j’ai eu tant de joie d’apprendre la musique, c’est qu’il me semble, quand je joue du piano, que je vous parle. Je suis sûre que celui qui a inventé la musique devait aimer bien tendrement, et qu’il l’a inventée pour faire connaître son amour. Je dis celui, mais je crois que ce devait être une femme ; n’est-ce pas ?

— Les Grecs dont je vous ai parlé, qui aimaient passionnément la musique, en attribuaient l’invention à un dieu.

— Ah ! mais vous m’avez dit que les Grecs avaient fait un dieu de l’Amour : n’est-ce pas que ce n’est pas bien de leur part ?

— Notre Dieu qui est là-haut est tout amour. Nos poëtes l’ont dit et chanté, dit sérieusement Ernest. Mais cet amour-là est d’une autre nature. C’est l’amour divin, non pas l’amour humain. Allons ! il faut rentrer ; l’air devient trop froid pour vous. »

Ils rentrèrent, le bras d’Ernest étreignant la taille d’Alice. La chambre semblait sourire et leur souhaiter une douce bien venue ; et Alice dont le cœur n’avait pas encore à demi exhalé les sentiments dont il était plein, se mit au piano, pour continuer à parler d’amour à sa façon.

C’était le samedi soir. Or tous les samedis Maltravers recevait de la ville voisine le journal de l’endroit ; c’était le seul médiateur par lequel il communiquât avec le monde. Mais ce