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rencontre de ces deux ennemis était certes un spectacle effrayant et sublime, plein d’une terrible et solennelle morale ! Ici se dressait Maltravers, fort au delà de la force ordinaire des hommes, plein de santé, de puissance, d’une supériorité dont il avait conscience ; tout entier à ses projets de vengeance ; rempli de sagesse et de génie ; toutes ses facultés mûres, développées, sous sa dépendance ; on voyait en lui l’homme complet, armé de toutes pièces, préparé à la défense ou à l’attaque contre tout adversaire ; un homme qui, lorsqu’une fois il embrassait une querelle juste, n’aurait pas tremblé devant une armée ; et là, devant lui, gisait son dessein inexorable et sombre arraché de son âme et anéanti à ses pieds. En présence de cet insensé frappé par les foudres d’un plus grand châtiment que la colère humaine n’en a jamais inventé, il sentit le néant de l’homme et du courroux humain. Dans son horrible affliction, le criminel triomphait du vengeur !

« Oui ! oui ! criait Cesarini ; on me dit qu’elle est mourante. Mais il est auprès d’elle, lui !… qu’on l’en arrache… il ne faut pas qu’il touche sa main… il ne faut pas qu’elle le bénisse !… Elle est à moi… si je l’ai tuée, du moins je l’ai arrachée de ses bras… Elle m’appartient dans la mort ! Laissez-moi entrer vous dis-je…, je veux entrer… je le veux, je veux la voir et je veux l’étrangler, lui, à ses pieds ! »

En disant ces mots, il s’arracha par un effort surhumain à l’étreinte des hommes qui le tenaient, et d’un bond soudain et triomphant, il s’élança à l’autre bout de la chambre et se trouva face à face avec Maltravers. Cet homme si fier et si brave pâlit et recula d’un pas.

« C’est lui ! c’est lui ! » hurla le fou et il sauta comme un tigre à la gorge de son rival. Maltravers saisit rapidement le bras et fit tourner l’insensé sur lui-même. Cesarini alla tomber pesamment sur le parquet, silencieux, sans connaissance, en proie à de violentes convulsions.

« Mystérieuse Providence ! murmura Maltravers, tu as humilié avec justice le mortel qui a cru pouvoir s’arroger ton privilège de vengeance. Pardonne à ce pécheur, ô mon Dieu, comme je lui pardonne, comme tu enseignes à mon cœur endurci à pardonner, comme pardonna celle qui est maintenant auprès de toi, une sainte bienheureuse dans le ciel ! »

Lorsque, quelques minutes après, le médecin, qu’on avait envoyé chercher, arriva, la tête du patient reposait sur les genoux de son rival ; c’était la main de Maltravers qui es-