Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/414

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

heur ; sentir d’une manière aussi palpable la triste lenteur du temps, comme un poids sur le cœur, et pourtant avoir peur de son impatience et souhaiter que l’angoisse du suspens puisse durer toujours, voilà, oh ! voilà un tableau de passion profonde, de réalité vivante, d’une des rares et solennelles époques de notre mystérieuse existence, qui eût été plus digne du génie de « l’Apôtre de la Douleur. »

À la fin la porte s’ouvrit ; la femme de chambre favorite de Florence parut.

« Monsieur Maltravers est-il là ? Ah ! monsieur, milady est réveillée, et elle désire vous voir. »

Maltravers se leva ; mais ses pieds restaient attachés au sol, son cœur navré cessait de battre, une terreur mortelle s’était emparée de lui. Il poussa un profond soupir, secoua l’engourdissement qui l’accablait, et passa au chevet du lit de Florence.

Elle était sur son séant, soutenue par des oreillers ; il se jeta à genoux à côté d’elle, et s’empara de sa main pâle et transparente ; elle le regarda avec un sourire de compassion et d’amour.

« Vous avez été bon, bien bon pour moi, dit-elle, après un moment de silence, et d’une voix dont l’accent était encore altéré depuis la dernière fois qu’il l’avait entendue. Vous m’avez rendu ce moment de la vie, que la nature humaine envisage avec tant d’effroi, le plus heureux, le plus beau de ma courte et inutile existence. Mon bien-aimé Ernest… que le Ciel vous récompense ! »

Quelques larmes de reconnaissance jaillirent de ses yeux, et tombèrent sur la main qu’elle se pencha pour toucher de ses lèvres.

« Ce n’est pas en ces lieux, parmi les rues et les bruyantes demeures des hommes tout entiers aux affaires de ce monde, ce n’est pas non plus dans cette rude et triste saison que j’aurais voulu jeter mon dernier regard à la terre. Si j’avais pu contempler la face de la nature, si j’avais pu voir une fois encore le soleil d’été, dans ces lieux charmants que nous aimions tant, la mort eût été semblable au sommeil. Mais qu’importe ? Auprès de vous, l’été et la nature sont partout ! »

Maltravers leva la tête, et leurs yeux se rencontrèrent en silence ; ils échangèrent un long regard, qui en disait bien plus que n’auraient pu faire des paroles. La tête de la mourante retomba sur l’épaule d’Ernest, et y resta passive et im-