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nées, qui eussent peut-être porté des fruits d’or. Et quelquefois, au milieu de ces effusions de l’intelligence trop pleine, et du cœur trop chargé, se trouvaient des allusions à lui, si tendres et si touchantes ! la silhouette de ses traits, crayonnés de souvenir, sous mille aspects différents ; des notes, rappelant une entrevue ou une conversation avec lui, dont la date et l’heure étaient marquées avec le soin tendre et minutieux d’une femme ! Toutes ces preuves de génie et d’amour prenaient une voix pour lui dire :

« Et cet être charmant est perdu à jamais pour toi ! et tu ne l’as apprécié que lorsque l’heure de son départ était irrévocablement fixée ! »

Maltravers poussa un douloureux gémissement ; tout le passé lui revint soudain à la mémoire. La passion de Florence pour un homme qu’elle ne connaissait pas encore ; l’intérêt qu’elle avait pris à sa gloire ; le zèle qu’elle mettait à défendre la vie de sa vie, son nom noble et sans tache. Il lui semblait qu’avec elle la Gloire et l’Ambition se mouraient aussi, et que désormais il ne lui resterait plus sur la terre qu’une argile vulgaire et des motifs sordides.

Avec quelle effrayante soudaineté ce coup était venu le frapper ! À la vérité, il y avait eu une absence de quelques mois, pendant laquelle le changement s’était opéré. Mais l’absence n’est qu’un vide, un intervalle de non-existence. Lorsqu’il l’avait quittée, elle avait toutes les apparences de la santé, elle était au comble de la prospérité et de l’orgueil. Il l’avait revue frappée, abattue de corps et d’esprit ; plus douce, plus humble, mourante. Et cette femme, si radieuse et si grande, combien elle l’avait chéri ! Il n’avait jamais été aimé ainsi, excepté dans ce songe d’un matin, traversé par la vision indistincte de cette Alice, qu’il avait perdue. Plus jamais, en ce monde, il ne serait aimé ainsi. L’air et l’aspect de toute cette chambre lui devinrent pénibles et accablants. Tout y parlait d’elle ! Là se trouvait la harpe, qui s’harmonisait si bien avec sa taille de Muse, qu’elle était inséparable de son image ! Là des peintures brillantes et fraîches encore, comme si elles sortaient de ses mains ; partout la grâce, l’harmonie, le goût simple et classique !

Rousseau nous a laissé une immortelle peinture de l’amant qui attend les premiers embrassements de sa maîtresse. Mais attendre avec la même ardeur fiévreuse, le même vertige, son dernier regard ; attendre le moment du désespoir, non du bon-