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vous, dans une rencontre mortelle ? Ne vous l’ai-je pas dit ? N’ai-je pas essayé d’émouvoir votre sang glacé, de vous pousser, par mes insultes, à un combat qui aurait fait ma joie ? Pourtant, alors vous étiez de marbre.

— Parce que je pouvais pardonner mon injure, et que la sienne… Il y avait encore alors de l’espoir que la sienne ne demanderait pas l’expiation. Arrière ! »

Maltravers se débarrassa de l’étreinte de l’Italien, et passa outre. Un cri de désespoir sauvage et aigu retentit derrière lui, et résonna à son oreille pendant qu’il montait le long es calier sombre et solitaire qui conduisait au lit de mort de Florence Lascelles.

Il entra dans la pièce contiguë à celle où reposait la malade : cette même pièce toujours gaie et riante, hélas ! où avait eu lieu sa première entrevue avec Florence, depuis leur réconciliation.

Il y trouva le médecin assoupi dans un fauteuil. Lady Florence dormait depuis deux ou trois heures. Lord Saxingham était dans son appartement ; il s’y livrait à une douleur profonde et bruyante ; car on ne pensait pas que Florence pût passer la nuit.

Maltravers s’assit en silence. Plusieurs livres richement reliés se trouvaient épars sur une table devant lui ; machinalement il en ouvrit un. À chaque page ses yeux tombèrent sur la belle écriture italienne de Florence. Son esprit actif et fertile, sa passion pour la poésie, sa soif d’apprendre, l’habitude des pensées sérieuses, se révélaient à chaque page comme les ombres d’elle-même. Il y rencontra bon nombre d’extraits de ses propres ouvrages, souvent accompagnés d’annotations qui témoignaient de l’approbation de Florence, et quelquefois aussi de réflexions qui n’étaient pas inférieures en vérité et en profondeur aux siennes. Il trouva aussi des fragments de poésies étranges, et toujours inachevées, d’une puissance et d’une énergie supérieures à la grâce délicate qui distingue ordinairement la poésie des femmes ; puis des critiques concises et vigoureuses sur des ouvrages d’une portée plus sérieuse que les études qui occupent communément les loisirs de son sexe ; des aphorismes ironiques et indignés sur le monde réel, à côté d’aspirations nobles et tristes après le monde idéal. Toutes les richesses capricieusement répandues dans ces volumes témoignaient des rares facultés dont cette singulière jeune fille était douée ; c’était en quelque sorte un herbier de fleurs fa-