Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/410

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

malade, votre main est brûlante ; vous devriez consulter un médecin. »

Maltravers sourit : mais ce n’était pas de son sourire habituel. Il secoua négativement la tête et s’éloigna rapidement.

Neuf heures venaient de sonner à trois horloges de Londres, successivement, au moment où un homme de stature haute et imposante remontait la rue qui conduisait à l’hôtel Saxingham. À cinq maisons de distance de l’hôtel, il y a une chaussée pavée en travers de la rue, et sur cette chaussée se trouvait un jeune homme ; sur son visage la jeunesse même semblait flétrie et sans séve. On était au mois de mars, le 3 mars ; le temps était extraordinairement froid, même pour ce mois rigoureux. Il avait neigé le matin, et la neige s’étendait blanche et triste le long de la rue, en longues lignes coupées par les ornières. Mais la brise n’avait pas ce souffle calme et glacé d’un temps de gelée ; au contraire, un vent d’ouragan gémissait et hurlait dans les rues désertes, et la flamme des réverbères vacillait à chaque rafale impétueuse. Peut-être ce vent meurtrier augmentait-il la pâleur d’aspect, l’air défait du jeune homme qui se trouvait là. Les cheveux, beaucoup plus longs qu’on ne les porte habituellement, étaient rejetés en arrière, et laissaient à découvert des joues horriblement creuses, amaigries et livides ; son corps frêle et mince semblait à peine en état de résister au souffle de la tempête.

Au moment où l’homme de haute taille (qui par sa mâle stature, et une certaine grandeur indescriptible dans la démarche et le maintien, contrastait fortement avec le jeune homme dont nous parlons), arriva au carrefour des deux rues ; il s’arrêta brusquement.

« Vous voilà encore une fois ici, Castruccio Cesarini ; c’est bien ! dit la voix profonde mais sonore d’Ernest Maltravers. Ce ne sera pas, je crois, notre dernière entrevue ce soir.

— Je vous demande, monsieur, dit Cesarini d’un accent où l’orgueil luttait contre l’émotion, je vous demande de me dire comment elle va ; si vous savez… je ne puis parler…

— Votre œuvre est presque consommée, répondit Maltravers. Quelques heures encore, et votre victime, car c’est vous qui l’avez tuée, portera ses griefs au grand tribunal de Dieu. Meurtrier que vous êtes, tremblez ! car votre heure approche aussi.

— Elle se meurt, et je ne puis la voir ! et il vous est permis, à vous, de contempler une dernière fois cette perfection hu-