Page:Bulwer-Lytton - Ernest Maltravers.pdf/407

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Danvers venait de le quitter une heure auparavant, en disant qu’il reviendrait bientôt. Maltravers entra et s’assit tranquillement. La salle était pleine d’oisifs, comme d’habitude ; mais il n’évitait pas la foule, il ne la voyait même pas. Il n’éprouvait pas le besoin de la solitude ; car il portait en lui la solitude même. Quelques personnages haut placés s’y trouvaient, groupés autour du feu, avec plusieurs des satellites et des parasites de la vie politique ; ils parlaient tous avec ardeur et avec vivacité, car c’était un moment de conflit entre les partis. Tout singulier que cela puisse paraître, quoique Maltravers entendît à peine alors leur conversation, elle revint plus tard clairement et fidèlement à sa mémoire, dans ses premières heures de réflexion au sujet de ses projets d’avenir, et servit à augmenter et à consolider son dégoût du monde. On discutait le caractère d’un grand homme d’État, dont ces gens-là étaient incapables de comprendre les motifs, dictés par les sentiments les plus nobles et les plus élevés. Leurs grossiers soupçons, leurs basses jalousies, leurs calculs de patriotisme d’après le tarif des places à obtenir, tout ce qui, en somme, dépouille de son fard cette belle prostituée, l’ambition politique ; tout cela s’imprima, comme avec un fer chaud, dans son âme. Un monsieur, le voyant assis seul et silencieux, le chapeau sur les yeux, lui tendit poliment le journal qu’il lisait.

« C’est la seconde édition ; vous y trouverez la dernière dépêche française.

— Merci ! » dit Maltravers ; et l’homme poli tressaillit en entendant cette laconique réponse ; il y avait un accablement, un désespoir inexprimables dans l’accent dont il la prononça.

Le regard de Maltravers parcourut machinalement les colonnes du journal, et s’arrêta à la vue de son nom. L’ouvrage qu’il s’était plu à composer au fond de la charmante retraite de Temple-Grove, où, dans chaque page, dans chaque pensée, se retrouvaient les conseils de Florence, œuvre à laquelle son image se trouvait associée d’une manière inséparable, et qui était illuminée par l’éclat d’un génie sympathique, cet ouvrage venait d’être publié. Depuis longtemps il était terminé, mais l’éditeur, par quelque excellente raison de son métier, l’avait jusque-là, empêché de paraître. Maltravers en ignorait la publication ; depuis peu, d’autres pensées avaient tout chassé de sa mémoire ; il avait oublié l’existence de son livre. Et maintenant, dans toute la pompe, dans tout le faste d’un nom d’auteur connu, il se révélait au monde ! Maintenant, maintenant,