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qui avait épargné sa vie. Maltravers s’était relevé après avoir achevé sa courte prière. Le visage rigide et contracté, les bras croisés sur sa poitrine, il faisait face à l’Italien qui s’avançait vers lui le regard menaçant, le bras levé, mais qui s’arrêta involontairement à la vue de l’attitude imposante de son rival.

« Alors donc, dit enfin Maltravers à voix basse et avec un calme surnaturel, alors, c’est vous qui êtes le traître ? Parlez ; de quels artifices vous êtes-vous servi ?

— D’une lettre de votre main ! Lorsque, il y a quelques mois, je vous écrivis pour vous communiquer les espérances que j’avais conçues, et vous demander votre opinion sur celle que j’aimais, comment m’avez-vous répondu ? Par des doutes, par des critiques, par un dédain caché et poli de la femme même, que, par une froide trahison, vous avez ensuite arrachée à mon amour, à mon culte, à mon adoration. J’ai falsifié cette lettre ; j’ai fait en sorte que les craintes que vous exprimiez pour mon bonheur parussent être les craintes que vous inspirait votre bonheur à vous-même. J’ai changé les dates, de manière que la lettre semblât écrite, non à l’époque où vous aviez fait connaissance avec Florence, mais après que vos serments d’amour avaient été échangés et acceptés. Votre écriture même vous accusait de lâches soupçons et de motifs sordides. Tels sont les artifices dont je me servis.

— Ils sont très-nobles. Vous en repentez-vous ?

— Pour ce que je t’ai fait à toi, je n’ai nul repentir. Je te regarde même encore comme l’agresseur. Tu m’as arraché le cœur de celle qui était l’univers entier pour moi, et, quelles que soient les raisons qui te servent de justification, je te hais d’une haine qui ne peut s’éteindre, qui abjure le titre abject de remords ! Je me réjouis de tes angoisses. Mais pour elle, elle frappée au cœur… elle mourante ! Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! Le coup est retombé sur ma tête !

— Mourante ! dit lentement Maltravers, qui tressaillit. Non, non ; elle n’est pas mourante… ou bien que serais-tu, toi ? Son assassin ! Et que devrais-je être alors, moi ? Son vengeur ! »

Vaincu par la violence des passions qui le déchiraient, Cesarini se laissa tomber à terre, et se couvrit la figure de ses mains jointes. Maltravers marchait à grands pas d’un air sombre. Il se fit quelques moments de silence.

À la fin Maltravers s’arrêta devant Cesarini, et lui parla ainsi :

« Vous êtes venu ici, moins pour avouer le crime le plus